Jessica.L Nelson analyse son anorexie et Camille de Peretti s’immerge en maison de retraite…

A noter la sortie récente de deux ouvrages de deux jeunes auteurs :
Après un premier roman « Mesdames, souriez » (où déjà le thème de l’obsession de l’apparence et de la maigreur apparaissait à travers le personnage de Louisa), ayant su rencontrer son lectorat, lors de la rentrée littéraire 2005 (et sorti en poche en janvier 2008 ), Jessica L Nelson, âgée de 27 ans (par ailleurs collaboratrice de l’émission littéraire « Vol de nuit », membre du comité de lecture chez Plon et co-créatrice du site « Zone littéraire » ainsi que du prix littéraire exclusivement féminin, remis à la Closerie des Lilas, le « Prix Lilas ») livre « un autre regard sur l’anorexie » comme le précise le sous-titre de son livre intitulé « Tu peux sortir de table ». Le sujet ayant été déjà en effet donné lieu à une littérature abondante (dont le superbe roman graphique de Ludovic Debeurme, « Lucille »).
Entre essai, document et témoignage, c’est une mise à nu de son expérience d’ex-anorexique où pendant 12 ans elle a enduré cette maladie (des extraits de son journal de cette époque sont ainsi retranscrits). Si le livre est un témoignage intime (l’auteur décrit l’arrivée de ce trouble dans sa famille, du regard de ses proches sur elle et de son rapport à la mutation de son propre corps), Jessica L. Nelson a cherché à élargir son propos en mettant son cas en perspective avec d’autres et en interrogeant divers ouvrages sur la question tout en convoquant la psychanalyse (elle a d’ailleurs rencontré quelques médecins tel le célèbre Marcel Rufo).
Elle remonte ainsi aux origines des traditions alimentaires de toutes les civilisations et démontre que certaines pratiques ancestrales avaient associé au jeûne et à l’ascèse des vertus de courage et de maîtrise de soi. Sans occulter les danger de l’anorexie, elle souhaite ainsi mettre en valeur certaines de leurs « qualités » comme « leur volonté hors du commun dans ce qui s’apparente à une quête de pureté« . Elle examine les idées reçues, quelques pratiques en vigueur et tente de répondre à certaines questions restées en suspens : les déclencheurs de la maladie (non les mères ne sont pas responsables de tout…), ce qu’elle cache…, tout en dénonçant les discours dominants sur les canons de la beauté féminine. « L’anorexie doit être vaincue. Mais elle ne pourra l’être vraiment que si ceux qui la combattent reconnaissent aux anorexiques leurs qualités spécifiques. » écrit-elle.

Extrait « Tu peux sortir de table » (Chapitre « Lente descente aux enfer ») :
« Pourquoi me sentir si coupable lorsque je mange ? Pourquoi suis-je persuadée d’être épiée, jaugée, jugée, de passer pour une goinfre quand je suis en public ? Je grappille, je grignote, je me restreins en me disant que je me garde pour une douceur sucrée inhabituelle que je sais pourtant pertinemment être incapable de m’accorder. J’ai peur de lâcher la bride et de tomber dans l’excès inverse, de prendre trop de goût à mes interdits et à mes pseudo-péchés. Je crois que le pire serait de sombrer dans la boulimie, la vraie, pas les trois cornichons et demi que je régurgite parce que je ne sais pas faire autrement. J’ai une telle volonté de contrôle de moi-même, de perfection, que connaître ces excès me serait intolérable, je perdrais le peu de confiance et d’estime qui me reste. Ce souci de perfection, je ne sais pas d’où il vient. J’ai toujours voulu être à la hauteur – mais de quoi ou de qui ? […] Je suis timide, j’ai envie de disparaître et que les gens ne puissent plus me voir ni rien attendre de moi. Le regard des parents me fait souffrir. Quand ils me regardent avec désespoir parce que j’ai mangé comme un oiseau ; quand ils me regardent avec plaisir parce que j’ai plus d’appétit que d’ordinaire. Qu’on cesse de me voir ! »

De son côté sa consœur Camille de Peretti, qui avait également publié il y a quelques années un roman (témoignage romancé) sur sa propre anorexie (Thornythorinx) qui sans prétention littéraire avait le mérite d’un certaine fraîcheur et modernité tout en brossant le portrait initiatique d’une jeune femme d’aujourd’hui, revient en cette rentrée littéraire de janvier 2008 avec un troisième roman « Nous vieillirons ensemble ». Après avoir revisité les « Liaisons dangereuses » dans son précédent roman « Nous sommes cruels », l’auteur s’inspire de la matrice algorithmique de « la Vie, mode d’emploi », le célèbre roman de Georges Perec. Choisissant pour cadre une maison de retraite (à l’image de sa consœur Héléna Marienské et son « Rhésus »), elle dépeint son petit monde fait de petites mesquineries et autres conversations insipides où les souvenirs sont tout ce qui reste, dans une atmosphère saturée d’odeurs de poireaux et de désinfectant… Du couple de la dernière chance à cette épouse infidèle atteinte d’Alzheimer (qui fait subir à son mari fou d’elle les souvenirs de ses amants !) en passant par Josy, l’auxiliaire de vie cartomancienne… Un roman chorale tour à tour drôle, grave ou émouvant, aux dialogues efficaces et une immersion insolite dans l’univers singulier « en sursis », des maisons de retraite (voir aussi un long et riche entretien vidéo donné par Camille de Peretti dans la rubrique « Buzz+ »).

Extraits :
« Alphonse s’en va. Il rentre chez lui, laissant la commère la bouche ouverte s’enfoncer dans le canapé et sa femme se faire mettre des bigoudis. La morale, la médisance… Si seulement les gens étaient un peu moins bête. Toute la cruauté du monde, pour quoi ? Pour un Dieu vengeur ? Pour faire peur ? Pour le pouvoir ? Ou juste pour parler ? Des méchants qui se tiennent compagnie. Des cannes qui font la conversation. Victimes, le baron [… ] »

« Mais qui est-ce qui m’a collé une moule pareille ? Elle est exaspérée, Aline. Elle fait ça pour lui. Après tout, elle n’a pas à s’occuper d’une belle-mère qui n’a jamais pu l’encadrer. Rien n’était trop bien, rien n’était trop beau pour son fils polytechnicien. Alors bien sûr, quand le jeune directeur brillant de Verreco avait épousé sa secrétaire, ça lui était resté en travers de la gorge à la vieille. Elle n’a que ce qu’elle mérite. La mère d’Aline va bien, Dieu merci, elle ne fait pas ses soixante-quinze ans. Elle est autonome, elle ne les appelle pas trente fois par jour. Jean-François lui dit toujours : « Tu ne ferais pas ça à ta mère », il ne se rend pas compte, le pauvre. Complètement aveugle. Enfin, depuis qu’elle s’est cassé le col du fémur, il a bien été obligé d’admettre que ce n’était plus tenable, déambulateur ou pas.« 

1 Commentaire

    • Jessica sur 23 mars 2008 à 20 h 44 min
    • Répondre

    editions-fayard.typepad.c…

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