Après un article cet été vous présentant une première série de romans sur le thème du 11 septembre, la rentrée littéraire de janvier 2009 révèle encore différentes œuvres se réclamant du « genre », si tant est qu’il puisse s’apparenter, désormais, quasiment à un genre littéraire à part entière, témoignant du traumatisme identitaire, de l’égarement et de la remise en cause provoqués par ce cataclysme.
A noter en particulier la parution du recueil de nouvelles « Le crépuscule des super héros » de l’américaine Deborah Eisenberg, l’une des plus grandes nouvellistes des Etats-Unis où son œuvre a été de nombreuses fois récompensée et comparée à l’égal de Raymond Carver ou d’Iris Murdoch, encore méconnue en France. Elle y offre une vision inédite de l’Amérique de l’après 11 septembre. « Transfuge » a rencontré cet écrivain engagé, critique vis-à-vis de son pays et à découvert une femme affranchie et lucide.
Deux tours s’écroulent sous les yeux de milliards d’impuissants et l’auteur ausculte alors quelques étudiants en recherche d’appartement, un critique endeuillé, un couple homosexuel, une femme adultère…
Nathaniel sous-loue avec des amis un loft à Manhattan. Il ne sait pas encore que la terrasse du marchand d’art, M. Matsumoto, offre une vue imprenable sur l’attaque imminente des Twin Towers. Invitée en Italie par son amie Giovanna, Kate part en week-end avec le séduisant Harry et se prend à rêver d’une idylle avec cet homme élégant et sûr de lui. Mais c’est compter sans la présence de la jolie Mlle Reitz, une lolita qui exerce son pouvoir de séduction pour tromper l’ennui…
« Sur l’écran, le colosse brisé, en flammes, crachait une averse de petits points noirs », telle sera la simple et unique phrase pour raconter l’évènement 11 septembre. Préférant l’anti-tragique, l’écrivain déteste le bruit grandiloquent de la littérature et les trompettes triomphantes du romanesque, Wagner et Norman Mailer, les romans de huit cents pages empêtrées dans leurs conventions. Elle privilégie l’arrière-plan du décor celui où tout se joue, ces petits détails qui disent l’essentiel : « chaise renversée, héros mort », les silences entre un homme et une femme, qui contiennent tant de douleurs et de trahisons… Deborah Eisenberg excelle dans ces portraits d’hommes et de femmes empêtrés dans les liens du mariage, du concubinage, et de la famille en général, « suspendus au coeur d’une splendeur temporaire » avant de se sauver soudainement de la crispation intime ou historique dans laquelle ils sont prises. Cousine littéraire d’Alice Munro et de Paula Fox, elle est à l’affût des tours que le destin joue aux hommes, les punissant de leurs rêves de grandeur, de leurs aspirations à la gloire, à la fortune, ou tout simplement au bonheur. Observatrice implacable de la vie quotidienne, elle sait que la fin du monde est au coin de la rue. « Personne n’est responsable de l’essentiel » écrit-elle d’entrée de jeu, ce qui ne l’empêche pas de dénoncer les failles et les imperfections. Et appelle ses concitoyens à assumer leurs responsabilités : « Tandis qu’ils se prélassaient dans leur soleil exclusif, qu’était-il arrivé à la planète ? » Ainsi elle dépeint la fin de ce « siècle baroque, curieusement futuriste », que fut le XXe siècle et esquisse le crépuscule qui baigne le XXIe, marqué de la splendeur déchue des chevaliers « en croisade » contre l’axe du mal….
Dans un tout autre style, Ken Kalfus nous raconte dans son roman « Un désordre américain » (qui vient de sortir en poche aux éditions Pocket, finaliste du National Book Award 2006), la guerre sans merci que se livre un couple américain, Marshall et Joyce Harriman, en attendant que leur divorce soit prononcé, au mépris de leurs deux enfants, victimes collatérales du champ de bataille familial. Contre toute attente, le 11 septembre constitue alors une « bonne nouvelle » pour ces deux enragés qui s’imaginent que l’autre a été victime de l’attaque d’Al-Qaeda. Joyce est supposée se trouver dans un des avions détournés, Marshall dans une des deux tours. Mais il n’en est rien… Dés lors la guerre est totale à coup d’avocats, de guerre psychologique, d’attaque à l’anthrax, de chantage affectif ou manipulations en tout genre.
Salué pour sa plume acerbe et hilarante, l’auteur se risque ici au parallèle entre le terrorisme quotidien et l’absence de dialogue qui mine la vie de couple de ces deux yuppies avec l’actualité de l’après 11 septembre (lutte contre «l’axe du mal», invasion de l’Afghanistan, puis de l’Irak, etc.). Ken Kalfus en profite pour dénoncer amèrement les dérives de l’Amérique post-11 septembre, en décrivantla perte des repères et l’hystérie sécuritaire. Et n’hésite pas à s’attaquer à quelques tabous comme le FBI dépassé pour déjouer les complots terroristes ou encore le lobby pro-israélien épinglé pour son soutien aveugle à la politique de l’Etat hébreux… Faire de l’effondrement des Twin Towers une métaphore de la débâcle conjugale…, un pari osé et plus ou moins subtile.
Enfin Paul Auster qui avait déjà abordé le sujet dans son roman « Dans le scriptorium », poursuit sa réflexion dans son dernier roman mâtiné de fantastique « Seul dans le noir » où il imagine à travers les pensées de son héros délirant, une autre Amérique, une Amérique qui n’a pas connu le 11 septembre, mais a basculé dans une guerre civile meurtrière après l’élection de Bush en 2000. On en reparle prochainement plus en détails sur Buzz littéraire !
Rattrapage rentrée littéraire de septembre 2008 :
Signalons aussi le roman « Un brillant avenir » (en lice pour le prix Goncourt), de la française vivant à New-York Catherine Cusset (révélée en 1999 par « Le problème avec Jane »), qui couvre lui une période beaucoup plus large, de la Roumanie de Ceausescu à l’Amérique de George W. Bush. Le récit suit la courbe qui entraîne Éléna, jeune roumaine, dans une fuite en Israël puis vers une carrière américaine et son accomplissement. La chronologie brouillée de ce cycle historique trace les contours d’une mémoire émotionnelle de l’Histoire, dont les jalons convergent en 2006 avec pour toile de fond l’Amérique survivant au 11 septembre. La trajectoire d’Élena, entre-temps devenue Helen, tendue vers un seul but, émigrer, incarne à elle seule le rêve américain. Ce roman sur l’immigration et la filiation renonce dès le début à la success story: le « brillant avenir » du titre, promesse accomplie, est sans cesse révisé à la lueur blême du présent, aiguisé par le conflit latent entre Helen et sa belle-fille française, Marie (un motif dont la romancière dispose fréquemment).
Et aussi : « Guerre à Harvard » de Nick McDonnell, sur la guerre en Irak.
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Compléments de livres autour du 11 septembre (rentrée littéraire 2009) :
– Netherland de Joseph O’Neill (voir chronique : http://www.buzz-litteraire.com/index.php?2010/03/02/1597-netherland-de-joseph-oneill)
« Et que le monde poursuive sa course folle » de Colum McCann :
"Un roman choral à 11 voix dans le le New York des années 1970 et 2001. A travers tous leurs récits se dessinent deux histoires qui n’en sont peut-être qu’une seule : le prodige du funambule qui, le 7 août 1974, dansa, pendant une demi-heure inoubliable, sur un mince câble suspendu entre les deux tours du World Trade Center – et la vie, toute aussi inoubliable et mystérieuse, du nommé Corrigan.
Cette traversée d’une demi-heure, est décrite, redécrite cent fois par McCann avec une force évocatrice superbe, vue par mille regards différents, toujours approfondie dans ses ambiguïtés. Sans cesse nouvelle, inouïe à nouveau. “L’espace d’un instant, presque rien ne se passe. Il n’est même plus là. Chuter ne lui effleure pas l’esprit. (…) Il est en deux secondes l’essence du mouvement, il peut faire ce qu’il veut. Dehors, dedans son corps, dans le bonheur d’appartenir à l’air, sans passé, sans avenir – et les caprices jaillissent sur le fil. Il transporte sa vie d’une extrémité à l’autre. (…) Etre un instant sans corps et venir à la vie.”
Tout au long du roman, cette traversée du funambule entre souvent secrètement en écho avec l’effondrement du World Trade Center le 11 septembre 2001, événement historique et spirituel autour duquel le récit se construit en creux, en silence."
ajouter: Flore Vasseur, une fille dans la ville/patrick Bouvet, Direct/Gilles Warembourg,les Escamoteurs