Avec « Le sablier », Sofia Guellaty écrit un roman sur une jeune femme qui s’ennuie, une jeune femme qui attend que « quelque chose » se passe, que « quelque chose » arrive : il fallait oser. Oser écrire le vide, la solitude, le rêve, sans ennuyer son lecteur. Le pari était risqué mais Sofia Guellaty, jeune auteure de 22 ans, réussit, comme par magie, dans son premier roman à créer une histoire aérienne, poétique et sensuelle autour de son héroïne à mi-chemin entre Marilyn Monroe et Sue perdue dans Manhattan. Les rêveries de cette promeneuse solitaire sont un petit bonheur…
Lorsqu’elle se lève, jamais avant midi, elle choisit une robe de couleur rouge ou jaune, une robe de fête ou de cocktail, elle se maquille toujours soigneusement, même si c’est juste pour aller chercher son pain « juste au cas où », elle applique de la crème parfumée sur ses bras, attache ses cheveux dans un chignon au flou très étudié, se juche sur ses escarpins de 10 centimètres de talon, tout en écoutant du Ravel sur son pick-up… L’héroïne de Sofia Guellaty (dont on ne connaît pas le nom) est ainsi : d’un glamour et d’une langueur presque surranés, hors du temps, une fille « hors contexte » comme elle se qualifie au détour d’une page.
« Quand on est habitué à la solitude, la temporalité change, la vie s’organise en fonction des besoins naturels, tout est lent, tout est pesant, on passe des heures à attendre la prochaine et rien de nouveau sous les ténèbres jusqu’au sommeil. »
Ensuite, elle se promène dans les rues où les gens s’affairent, « jouent à la secrétaire au médecin, au fonctionnaire… ». Elle déambule, elle erre : « Paris m’absorbe », dit-elle. Elle se montre partout pour voir si quelqu’un veut bien la recueillir. « Un jour ou l’autre, il se passera quelque chose », espère t’elle.
« La vie, ou le peu que j’en connais, n’est pour moi que du temps qui s’enchaîne couvert d’un amas de non-sens. Je pourrais fermer les yeux et voyager et m’imaginer être qui je voudrais cela n’aurait pas moins de valeur que de le vivre. Les rêves et l’existence naissent et périssent ensemble. »
En attendant, elle s’accroche à ses fantasmes. Le plus fort est celui du « vieil écrivain ».
Tous les soirs, elle se rend à leur rendez-vous fictif et tacite dans un bistrot de quartier « aux banquettes en simili cuir rouge » : La sablier.
Jamais ils n’échangent un mot, ils se contentent de se regarder. Elle se rêve en muse, en héroïne de son prochain roman. Puis chaque soir, avant son départ, il lui laisse un billet énigmatique où est inscrit une métaphore ou un aphorisme qui ne manque pas de faire écho à son existence : « Le désespoir n’est qu’un manque d’imagination » ou encore « Le plus grand obstacle à la vie est l’attente qui espère demain et néglige aujourd’hui. »
Comme autant d’indices semés sur sa quête « pour vivre » enfin.
De rencontres insolites ou fantomatiques (son voisin pianiste qui la compare à un Steinway à « l’étudiant maoïste » jusqu’à son amie Josette, prostituée au grand coeur…) en « job-prétexte » en tant qu’ assistante d’un producteur de cinéma snob et concupiscent(« J’aurais pris n’importe quel travail pourvu qu’il m’occupe un tant soit peu, les gens disent que rester seule trop longtemps à ne rien faire n’est pas une bonne chose pour l’équilibre, parfois je pense qu’ils ont raison. Et je change d’avis.« ), parviendra t’elle à trouver l’identité et le sens qu’elle recherche dans ce dédale urbain ?
A travers ce court roman intimiste d’une centaine de pages (qui était au départ une nouvelle écrite pour un concours), Sofia Guellaty nous transporte au coeur d’une psyché féminine et sensible. Sous la forme d’un conte urbain aux accents existenciels, elle décrit avec humour et délicatesse les indécisions et la fragilité d’une jeune femme dans un monde moderne où les idéalistes n’ont pas vraiment leur place…
Elle parvient à faire flotter le lecteur avec son héroïne presque abstraite, aussi fascinante et iréelle qu’une actrice de la MGM (qu’elle cite d’ailleurs). A la fois femme enfant et femme fatale.
Son écriture cotonneuse et sensorielle, aussi légère qu’une bulle échappée d’un bain parfumé, évoque parfois celle de Colette comme ce passages où l’héroïne refuse de se laisser emprisonner par les contingences du travail. « Au milieu d’une phrase, je couche ma tête sur le bois tiède et laisse la chaleur doucement me brûler le visage. Les yeux fermés, je suis à la plage. Insouciante. Nous ne vivons que pour découvrir la beauté. Tout le reste n’est qu’attente. »
Le sablier est une parenthèse enchantée, un joli hommage à l’imagination érigée comme art de vivre, au charme frais et candide.
Deux ou trois choses que l’on sait sur elle :
Née en Tunisie, elle publie son premier roman « Le Sablier « à l’âge de 22 ans, en 2006, aux éditions Joelle Losfeld qui est l’éditrice de Albert Cossery et fait partie de la maison Gallimard. Depuis cinq ans, elle vit à Paris et étudie le marketing au CELSA. A travers ce premier roman, elle dit avoir voulu explorer « comment grâce à l’imagination on peut devenir un personnage de roman » et expulser ainsi sa part sombre.
Semblable à une enfant en quête d’un soutien pour franchir le passage vers la vie d’adulte, elle croit en la figure énigmatique du vieil homme, car il lit, réfléchit et écrit. Or, même s’il peut lui enseigner le savoir du monde, l’enrichir, il ne peut malheureusement pas lui dire qui elle doit être. « J’attache personnellement une importance considérable au savoir et à l’enfance, qu’il faut à tout prix entretenir, afin de préserver la capacité de plonger dans un imaginaire qui nous libère, quand on le désire, de la difficulté ou de l’absurdité du monde. »[Alexandra Galakof]
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