Le Club des Incorrigibles Optimistes de Jean-Michel Guenassia

Avec ses 750 pages Le Club des Incorrigibles Optimistes de Jean-Michel Guenassia raconte une époque, dans la veine du grand roman populaire. 1980, Michel Marini assiste aux funérailles grandioses d’un philosophe. Il se souvient de sa jeunesse: l’Algérie, l’URSS, l’homme dans l’espace, et lui à Paris, le nez dans les bouquins et la conscience politique en construction.

A 12 ans, Michel Marini navigue entre le jardin du Luxembourg et la place de la Contrescarpe, faisant un saut, à l’occasion, au lycée Henri IV où il est supposé étudier. Il faut dire que Michel a des préoccupations autrement plus importantes que les exercices de maths, qui le laissent toujours en échec : le rock, la poésie, la politique. A force d’user les babyfoots du Balto, un grand bistrot à Denfert-Rochereau, il a réussi à se faire une place dans son cercle très fermé, composé d’exilés du bloc de l’Est, des intellectuels apatrides partagés entre « ceux qui haïssaient l’idéologie socialisante et qui lorgnaient vers l’Amérique et ceux qui avaient fui les pays de l’Est mais étaient restés socialistes ».

Il y a Leonid et Igor, les réfugiés soviétiques, Werner l’allemand antinazi, Tibior l’acteur hongrois… et à l’occasion, Joseph Kessel et Jean-Paul Sartre qui viennent boire un demi et deviser derrière le rideau du Balto. Un peu par hasard au début, puis très vite par passion, Michel plonge au cœur des débats idéologiques des années 60. Sa conscience politique est en éveil permanent, puisque chez lui, sa famille s’implique aussi dans les événements de l’époque : son frère aîné Franck s’engage en Algérie puis déserte, et son oncle installé là-bas rentre en France dans l’urgence, parmi ceux qu’on nommera plus tard les Pieds-noirs.

Avec habileté, Jean-Michel Guenassia mêle l’Histoire à la fiction, le déroulement chronologique des faits aux bouleversements romanesques. Chaque membre du Club du Balto a droit à ses anecdotes et au récit de son passé, plus ou moins détaillé et dramatique. On apprend au fil du roman que ces exilés aux accents et aux coups de sang qui fascinent Michel sont unis par des enjeux qui dépassent le cercle du Balto. Entre deux voyages dans le bloc de l’Est, l’auteur nous ramène dans le présent de Michel, à sa famille qui se déchire, à ses amies qui lisent Aragon. C’est si bien orchestré que les 750 pages se tournent sans ennui.

Guerre Froide au bistrot, guerre d’Algérie à la maison, et révolution dans la tête : Michel représente une décennie en jouant au babyfoot et en écoutant des vinyles. Plus qu’un personnage, il est le condensé d’une époque, des envies et des tensions qui la traversent. Dommage cependant, que de 1959 à 1964, de ses douze ans à ses seize ans, son regard évolue si peu. Il reste cantonné à l’ado type des années 60, cancre, engagé, comme on en a vu et lu beaucoup avant lui. Un héros d’autant moins consistant qu’autour de lui gravitent des personnages forts, bien campés, comme celui du russe Leonid, douloureux et taciturne, qui prend toute son importance dans la dernière partie du roman.

En commençant le récit par « Aujourd’hui, on enterre un écrivain. Comme une dernière manifestation », Guenassia souligne toute la place que tient la littérature dans son roman. Il est question à chaque page d’auteurs et de livres. Face aux grands noms de Saint Exupéry, Simenon, Kerouac, la plume de l’auteur a tendance à s’effacer. Car le style de Jean-Michel Guenassia est un peu faible au regard de l’ampleur du projet déployé. Les rebondissements s’enchaînent, les yeux glissent sans heurt sur le récit, la lecture est facile, trop facile. Jusqu’aux dernières pages. Là, enfin, l’opacité attendue surgit, évitant la conclusion romanesque univoque du genre « bien fait pour les coupables ».

Dans la veine de la fresque historique populaire, de facture classique, Le Club des incorrigibles optimistes atteint pleinement son but. Jean-Michel Guenassia raconte la révolte des esprits sans sortir des sentiers battus.

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