Dans « Le dernier monde », sur le thème rebattu du dernier homme, Céline Minard décrit un périple halluciné et hallucinant de talent. Dernier survivant sur Terre à la suite d’une catastrophe inexpliquée, un astronaute s’invente pour survivre une galerie de personnages imaginaires. Bonne nouvelle : la relève de l’anticipation sociale est assurée par une romancière française!
« Je passais pour le plus déjanté des astronautes de réserve, je buvais sec, je braillais fort et je dansais mal, mais à fond. A fond. »
Jaume Roiq Stevens est certainement le cosmonaute le plus atypique de toute l’histoire de la conquête spatiale, et Le dernier monde l’une des meilleures surprises de cette rentrée littéraire de janvier 2009 ! Céline Minard a du style ! Un style du feu de dieu même ! Le genre que l’on approche que chez ses collègues anglo-saxons. On pense à Chuck Palahniuk , Martin Amis ou Will Self, carrément !
Mais commençons par le commencement: Jaune Rois Stevens est un élément dilettante, boudeur et capricieux au sein d’une équipe de spationautes un poil trop sérieux. Carrière oblige, il vivote en apesanteur gérant au jour le jour les petites tensions et les compromis inévitables dans un milieu aussi restreint. Suite à une catastrophe inexpliquée, Stevens décide de rester dans la station malgré les ordres d’évacuation envoyés par la terre. Alors que toute son équipe s’en va, des phénomènes de plus en plus étranges apparaissent à la surface de la planète et une suite de cataclysme la ravage au point que plus personne ne répond. Après quelques semaines, Stevens décide alors d’entamer seul une descente à haut risque et découvre que la population du monde a « fondu ». Il est le dernier homme sur terre.
«J’ai besoin de compagnie. Il est sain pour moi d’avoir des échanges. […] Si ma cohérence interne doit passer par des failles externes, elle y passera.»
Une marée de porcs éboueurs
Forcément, Jaume Roiq Stevens va devoir « devenir monde ». Devenir le monde, le dernier monde. Bientôt atteint du syndrome de personnalités multiples, Jaume s’invente des compagnons pour combler son manque affectif et échapper à la folie. Tout au long du récit, il entretient avec ces personnages des dialogues parfois hilarants (ou tragi-comiques, selon les moments). Les archétypes tribaux se réveillent, le guerrier, le copiste, une femme qui aime les femmes (la femme en lui), un chef, un guide… A lui tout seul (et à eux quatre, voir cinq et plus…) aidés d’une marée de porcs éboueurs, il décident de « ranger la station » (comprendre : « nettoyer la planète ») et lui rendre ainsi, sa liberté. Un périple qui le mènera à travers les continents, à travers les océans. A travers l’espace et le temps. De Miami à Oulan Bator, de Pékin au Brésil, en passant par l’Inde et l’Afrique. Autant de pays, autant de mythologies, autant d’histoires.
Une langue riche, une culture vaste
Difficile de résumer un roman pluriel dont le héros est un homme seul, d’autant que l’homme n’est pas tout dans ce monde, mais qu’il est indéniablement, par son langage, « un monde ». Sur cette base ambitieuse et un rien aride, Céline Minard pourrait ennuyer, pas du tout ! Elle arrive même à évoquer la vie comme personne. De son style sec et mordant, plein d’une poésie brute et emprunt de spéculations métaphysiques, elle rêve l’inéluctable chute de notre civilisation.
Le dernier monde se situe à l’exact opposé des scénarios catastrophes convenus et des mondes post-apocalyptiques rabâchés. On pense plutôt à Douglas Coupland (la fin du monde étouffée de Girlfriend dans le coma), à Maurice Dantec, sans le délire de persécution (le souffle épique de son dernier, Grande jonction), à Palahniuk avec de la finesse (l’acidité, les interruptions, le vocabulaire) et surtout, surtout, au meilleur de Ballard (l’ambiance général, l’anticipation sociale, la gestion des formes et du langage de la technologie contemporaine).
Mais Céline Minard n’est pas qu’une maligne styliste pétrie d’inspiration (ou de références), loin de là. Sa langue est riche, sa culture est vaste : mythologie, ethnologie, zoologie, philosophie, physique, chimie, armement, technologie de pointe, tout y passe… Ses figures de styles et ses métaphores sont vivantes et drôles, ses explosions de violence extrême (l’incroyable scène de carnage nocturne dans Olan-Bator) et ses scènes de sexe très « crues » (sans jeu de mot, même si l’orgie hydraulique décrite dans le livre s’y prête). Cette langue unique et dynamique est sienne, elle l’a fait vivre et résonner avec une rare puissance et même exploser de talent à la face de son lecteur, véritablement !
1 Commentaire
Critique tout à fait juste TRes bonne analyse
Roman magnifiquement écrit, plein d’érudition
Comment peut on écrire un roman si dense ?
FIction hallucinante d’un homme seul au monde lui-même complètement halluciné et qui se recrée un monde autour de lui pour combler sa solitude..
OUi, mais Livre épuisant et très complexe dans sa lecture : je n’ai pas eu le courage de tout lire (j’ai lu les derniers chapitres quand même)