L’auteur de Bonjour tristesse ou de La chamade, sous son allure insouciante et proscratinatrice, était une travailleuse acharnée avec une discipline d’écriture bien rôdée, ce qui lui a permis d’ériger une œuvre de plus de 40 romans, pièces de théâtre, recueils et collaborations scénaristique. Avec une régularité métronomique, il faut se rappeler qu’elle publiait un nouveau livre presque chaque année ou tous les deux ans, de 1954 à 1998 ! Au fil des interviews donnés à de nombreux journaux, elle a livré sa routine, sa méthode et sa conception de l’écriture romanesque: de l’inspiration à la peur de la page blanche en passant par ses démons. Extraits choisis de ces perles dans les coulisses de son art:
Routine d’écriture de Françoise Sagan
« J’écris avec une machine à écrire, l’après-midi en général et sans m’arrêter pendant 3 mois, puis je m’arrête un peu et je repars. Je ne rature pas beaucoup. Je déchire par contre beaucoup au début, je recommence 5 ou 6 fois parce que c’est jamais ce qu’on veut puis une fois qu’on est lancé, on se dit tant pis faut continue, faut continuer. »
« J’écris la nuit parce que c’est le seul moment où on peut travailler tranquille, sans téléphone, sans les gens qui passent, les amis de mon fils… sans être dérangée. Travailler la nuit à Paris, c’est comme être à la campagne. Le rêve ! Je travaille de minuit à 6 heures du matin. »
« A la campagne, je travaille l’après-midi. L’agrément de la campagne c’est de pouvoir, quand on se lèven, flâner dehors, regarder l’herbe, le temps qu’il fait. L’après-midi vers seize heures, on dit aux autres: « il faut que j’aille travailler. On se plaint, on gémit, on joue une petite comédie. Et ce qu’il y a de charmant lorsqu’on s’est bien entendu avec sa machine à écrire ou son style, c’est qu’on oublie l’heure du dîner. Cela ne signifie pas que j’écrive mieux à la campagne. Je peux travailler à peu près n’importe où: sur un banc, au pied d’un arbre, en voyage. Il n’y a que dans les cafés où il me serait difficile de travailler. Pas à cause du fond sonore mais à cause des gens, qui sont ce qui me distrait le plus sur la terre. »
« Lorsque je suis en cours d’écriture, le livre me poursuit tout le temps, et je deviens assommante pendant 6 mois. J’y pense continuellement, comme à un problème à résoudre pour le lendemain ; ou bien lorsque je suis triomphante,
parce que j’ai bien travaillé. »
L’écriture d’un roman vue par Françoise Sagan
« On a une liberté folle dans le roman où l’on peut par exemple parler d’un reflet de soleil, d’un visage, contrairement au théâtre. »
« Ce que je préfère au monde c’est le roman. On se créée une famille avec laquelle on vit pendant deux ou trois
ans. Le roman, c’est un long voyage avec des tas de gens auxquels on s’attache tout le temps du trajet. »
Neuf fois sur dix, écrire c’est se tromper. L’esprit est une sorte de folie oscillante entre deux pôles, deux possibilités. La seule manière de trancher pour un écrivain, c’est de se lancer à toute vitesse dans la voie qui lui paraît la plus séduisante, d’un point de vue purement verbal, lyrique, romantique.
Trouver l’inspiration et son style selon Françoise Sagan
« Je ne crois pas que l’observation soit si importante pour un écrivain. J’ai plutôt qu’il trouve la matière dans sa mémoire ou dans ses obsessions. L’imagination est chez moi la vertu dominante. »
« Entre deux livres, je ne touche ni papier ni crayon. Je n’écris pas, parce que je suis quelqu’un de très paresseux. J’adore ne rien faire. Rester sur mon lit et regarder passer les nuages, comme dit Baudelaire, ou lire des romans policiers, ou aller me promener, voir des amis… Il y a un moment où des sujets me trottent dans la tête, où je commence par avoir de vagues idées, à voir de vagues silhouettes. Ca m’énerve. Puis il y a un moment où des pressions extérieures se manifestent… Le besoin d’argent, le fisc…
Ce sont ces pressions qui m’obligent à passer à l’acte.
Ces idées qui me trottent dans la tête, les pressions du dehors, tout se conjugue et devient une sorte de masse
à laquelle je ne peux résister qu’en écrivant. Généralement les nécessités du dehors et les envies intérieures
se rejoignent. Mais si l’influence extérieure est en avance sur l’exigence intérieure, alors là, je m’arrache
les cheveux, je me dis : je suis fichue, je n’ai plus d’inspiration, c’était un don du ciel qui est parti.
C’est à chaque fois pire. Je suis persuadée que c’est fini. Et puis j’écris. »
« L’écrivain est un pauvre animal, enfermé dans une cage avec lui-même.
Cela peut être très humiliant. Parfois, on travaille toute la nuit et le matin, on se dit: « C’est pas ça. » Au début, je déchire beaucoup. Il y a toujours un mauvais moment à passer. Quand l’histoire se met en place et que je ne sais pas très bien comment m’y prendre. C’est un travail de bûcheron, d’artisan. On place des pierres, on essaie de coller du ciment et puis, patatras, tout s’écroule. Les personnages ne sont pas là, on ne les voit pas, ils ne sont pas encore définis. On ne sait pas comment les faire bouger, on attend qu’ils se précisent d’eux-mêmes. On ne sait pas comment ils sont tournés ni ce qu’ils vont devenir, on leur prête juste un geste ou deux.
Puis une fois que c’est parti, qu’ils existent, ça y est. On n’a plus qu’à les suivre. C’est quand mes personnages
deviennent vraiment encombrants que je commence à écrire. Alors, là, j’écris très facilement, je ne m’arrête plus.
Et quand ça marche, c’est formidable. Il y a véritablement des moments bénis.
Oui, parfois on se sent la reine des mots. C’est extraordinaire, c’est le paradis.
Quand on croit à ce qu’on écrit, ça devient un plaisir fou.
On est la reine de la terre. J’ai parfois une envie animale d’attraper les mots.
C’est comme si vous me demandiez si je préfère faire l’amour sans témoin ou devant un public.
On peut voir, mais quand je n’y suis plus. C’est le plaisir de la forme et non du fond. »
« Lorsque j’ai une histoire en tête, je suis un peu comme une femme enceinte. Celle-ci ne pense pas tout le temps à son enfant, mais, de temps à autre, elle reçoit un coup de pied qui lui rappelle son existence. Ce peut-être au cours d’un dîner ennuyeux (…). Ou bien c’est au milieu de la nuit. J’allume, je cherche partout un crayon, je note mon idée sur un bout de papier, et, le lendemain, je l’ai perdu. Je prends beaucoup de notes, mais de nature purement imaginaire. Pas un de mes personnages n’a été inspiré par des êtres réels, ce serait plutôt l’inverse.
Ce sont mes personnages imaginaires qui ont tendance, eux, à gêner mes rapports avec les gens réels. »
La peur de la page blanche
« Au départ c’est une impulsion sensuelle, esthétique, c’est comme si vous aviez une liaison avec quelqu’un de très séduisant et de très intraitable qui vous attend. Chaque étreinte peut-être un bonheur extatique ou un fiasco.
Il peut vous démolir ou vous combler. Quelquefois on a le courage d’aller vers lui et parfois on hésite.
Cette hésitation s’appelle la paresse de l’écrivain : c’est en fait la peur.
Pour les écrivains qui n’ont pas cette impression de rendez-vous d’amour dangereux, cela doit être sinistre, ou lorsque le rendez-vous d’amour se transforme en rendez-vous d’affaires, et même si le lecteur ne le voit pas, cela doit être affreux. Même et surtout si on est sûr d’emporter l’affaire.
La seule terreur que peut avoir un écrivain c’est de ne plus entendre les voix qui l’habitent. Même les mots, ces fidèles alliés, ces sujets, ces soldats peuvent se révéler n’être qu’une piétaille révoltée et désobéissante. Alors, il faut parfois, pour se réconcilier avec ses troupes, s’engager dans un long et délirant poème qu’on ne termine pas toujours. »
Méthode d’écriture selon Françoise Sagan
« Ecrire c’est s’oublier. Un processus dont la réussite exige précisément que l’on évite de penser à soi-même. Un livre, cela a l’air un peu romantique, un peu mélo, c’est fait avec du lait, du sang, des nerfs, de la nostalgie, avec un être humain , quoi ! Alors, la méthode pour l’écrire, ce n’est rien d’autre qu’une manière de se couper du temps et de la vie extérieure. »
« On écrit toujours la même musique, approfondir ses obsessions. »
« Pour écrire, il ne faut pas penser que la littérature passer par la télévision, ou automatiquement par le succès.
Il faut travailler et mener une vie la plus isolée possible des médias. »
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L’auteur de Bonjour tristesse ou de La chamade, sous son allure insouciante et proscratinatrice, était une travailleuse acharnée avec une discipline d’écriture bien rôdée, ce qui lui a permis d’ériger une œuvre de plus de 40 romans, pièces de théâtre, recueils et collaborations scénaristique. Avec une régularité métronomique, il faut se rappeler qu’elle publiait un nouveau livre presque chaque année ou tous les deux ans, de 1954 à 1998 ! Au fil des interviews donnés à de nombreux journaux, elle a livré sa routine, sa méthode et sa conception de l’écriture romanesque: de l’inspiration à la peur de la page blanche en passant par ses démons. Extraits choisis de ces perles dans les coulisses de son art:
Routine d’écriture de Françoise Sagan
« J’écris avec une machine à écrire, l’après-midi en général et sans m’arrêter pendant 3 mois, puis je m’arrête un peu et je repars. Je ne rature pas beaucoup. Je déchire par contre beaucoup au début, je recommence 5 ou 6 fois parce que c’est jamais ce qu’on veut puis une fois qu’on est lancé, on se dit tant pis faut continue, faut continuer. »
« J’écris la nuit parce que c’est le seul moment où on peut travailler tranquille, sans téléphone, sans les gens qui passent, les amis de mon fils… sans être dérangée. Travailler la nuit à Paris, c’est comme être à la campagne. Le rêve ! Je travaille de minuit à 6 heures du matin. »
« A la campagne, je travaille l’après-midi. L’agrément de la campagne c’est de pouvoir, quand on se lèven, flâner dehors, regarder l’herbe, le temps qu’il fait. L’après-midi vers seize heures, on dit aux autres: « il faut que j’aille travailler. On se plaint, on gémit, on joue une petite comédie. Et ce qu’il y a de charmant lorsqu’on s’est bien entendu avec sa machine à écrire ou son style, c’est qu’on oublie l’heure du dîner. Cela ne signifie pas que j’écrive mieux à la campagne. Je peux travailler à peu près n’importe où: sur un banc, au pied d’un arbre, en voyage. Il n’y a que dans les cafés où il me serait difficile de travailler. Pas à cause du fond sonore mais à cause des gens, qui sont ce qui me distrait le plus sur la terre. »
« Lorsque je suis en cours d’écriture, le livre me poursuit tout le temps, et je deviens assommante pendant 6 mois. J’y pense continuellement, comme à un problème à résoudre pour le lendemain ; ou bien lorsque je suis triomphante,
parce que j’ai bien travaillé. »
L’écriture d’un roman vue par Françoise Sagan
« On a une liberté folle dans le roman où l’on peut par exemple parler d’un reflet de soleil, d’un visage, contrairement au théâtre. »
« Ce que je préfère au monde c’est le roman. On se créée une famille avec laquelle on vit pendant deux ou trois
ans. Le roman, c’est un long voyage avec des tas de gens auxquels on s’attache tout le temps du trajet. »
Trouver l’inspiration et son style selon Françoise Sagan
« Je ne crois pas que l’observation soit si importante pour un écrivain. J’ai plutôt qu’il trouve la matière dans sa mémoire ou dans ses obsessions. L’imagination est chez moi la vertu dominante. »
« Entre deux livres, je ne touche ni papier ni crayon. Je n’écris pas, parce que je suis quelqu’un de très paresseux. J’adore ne rien faire. Rester sur mon lit et regarder passer les nuages, comme dit Baudelaire, ou lire des romans policiers, ou aller me promener, voir des amis… Il y a un moment où des sujets me trottent dans la tête, où je commence par avoir de vagues idées, à voir de vagues silhouettes. Ca m’énerve. Puis il y a un moment où des pressions extérieures se manifestent… Le besoin d’argent, le fisc…
Ce sont ces pressions qui m’obligent à passer à l’acte.
Ces idées qui me trottent dans la tête, les pressions du dehors, tout se conjugue et devient une sorte de masse
à laquelle je ne peux résister qu’en écrivant. Généralement les nécessités du dehors et les envies intérieures
se rejoignent. Mais si l’influence extérieure est en avance sur l’exigence intérieure, alors là, je m’arrache
les cheveux, je me dis : je suis fichue, je n’ai plus d’inspiration, c’était un don du ciel qui est parti.
C’est à chaque fois pire. Je suis persuadée que c’est fini. Et puis j’écris. »
« L’écrivain est un pauvre animal, enfermé dans une cage avec lui-même.
Cela peut être très humiliant. Parfois, on travaille toute la nuit et le matin, on se dit: « C’est pas ça. » Au début, je déchire beaucoup. Il y a toujours un mauvais moment à passer. Quand l’histoire se met en place et que je ne sais pas très bien comment m’y prendre. C’est un travail de bûcheron, d’artisan. On place des pierres, on essaie de coller du ciment et puis, patatras, tout s’écroule. Les personnages ne sont pas là, on ne les voit pas, ils ne sont pas encore définis. On ne sait pas comment les faire bouger, on attend qu’ils se précisent d’eux-mêmes. On ne sait pas comment ils sont tournés ni ce qu’ils vont devenir, on leur prête juste un geste ou deux.
Puis une fois que c’est parti, qu’ils existent, ça y est. On n’a plus qu’à les suivre. C’est quand mes personnages
deviennent vraiment encombrants que je commence à écrire. Alors, là, j’écris très facilement, je ne m’arrête plus.
Et quand ça marche, c’est formidable. Il y a véritablement des moments bénis.
Oui, parfois on se sent la reine des mots. C’est extraordinaire, c’est le paradis.
Quand on croit à ce qu’on écrit, ça devient un plaisir fou.
On est la reine de la terre. J’ai parfois une envie animale d’attraper les mots.
C’est comme si vous me demandiez si je préfère faire l’amour sans témoin ou devant un public.
On peut voir, mais quand je n’y suis plus. C’est le plaisir de la forme et non du fond. »
« Lorsque j’ai une histoire en tête, je suis un peu comme une femme enceinte. Celle-ci ne pense pas tout le temps à son enfant, mais, de temps à autre, elle reçoit un coup de pied qui lui rappelle son existence. Ce peut-être au cours d’un dîner ennuyeux (…). Ou bien c’est au milieu de la nuit. J’allume, je cherche partout un crayon, je note mon idée sur un bout de papier, et, le lendemain, je l’ai perdu. Je prends beaucoup de notes, mais de nature purement imaginaire. Pas un de mes personnages n’a été inspiré par des êtres réels, ce serait plutôt l’inverse.
Ce sont mes personnages imaginaires qui ont tendance, eux, à gêner mes rapports avec les gens réels. »
La peur de la page blanche
« Au départ c’est une impulsion sensuelle, esthétique, c’est comme si vous aviez une liaison avec quelqu’un de très séduisant et de très intraitable qui vous attend. Chaque étreinte peut-être un bonheur extatique ou un fiasco.
Il peut vous démolir ou vous combler. Quelquefois on a le courage d’aller vers lui et parfois on hésite.
Cette hésitation s’appelle la paresse de l’écrivain : c’est en fait la peur.
Pour les écrivains qui n’ont pas cette impression de rendez-vous d’amour dangereux, cela doit être sinistre, ou lorsque le rendez-vous d’amour se transforme en rendez-vous d’affaires, et même si le lecteur ne le voit pas, cela doit être affreux. Même et surtout si on est sûr d’emporter l’affaire.
La seule terreur que peut avoir un écrivain c’est de ne plus entendre les voix qui l’habitent. Même les mots, ces fidèles alliés, ces sujets, ces soldats peuvent se révéler n’être qu’une piétaille révoltée et désobéissante. Alors, il faut parfois, pour se réconcilier avec ses troupes, s’engager dans un long et délirant poème qu’on ne termine pas toujours. »
Méthode d’écriture selon Françoise Sagan
« Ecrire c’est s’oublier. Un processus dont la réussite exige précisément que l’on évite de penser à soi-même. Un livre, cela a l’air un peu romantique, un peu mélo, c’est fait avec du lait, du sang, des nerfs, de la nostalgie, avec un être humain , quoi ! Alors, la méthode pour l’écrire, ce n’est rien d’autre qu’une manière de se couper du temps et de la vie extérieure. »
« On écrit toujours la même musique, approfondir ses obsessions. »
« Pour écrire, il ne faut pas penser que la littérature passer par la télévision, ou automatiquement par le succès.
Il faut travailler et mener une vie la plus isolée possible des médias. »
A lire aussi sur l’édition, la publication d’un manuscrit et l’écriture d’un roman : les conseils de lecteurs et lectrice d’édition
“Manuscrit refusé : Faut-il persévérer ? Conseils d’une lectrice d’édition”
Pourquoi votre manuscrit a-t-il été refusé (ou risque de l’être) par les éditeurs ?
Bien rédiger la lettre de présentation/d’accompagnement de son manuscrit : Conseils d’une lectrice d’édition
Interview d’une lectrice d’édition : comment trouver un éditeur et se faire publier ?