C’est l’évènement littéraire de l’année, celui dont il faut être, celui dont il faut parler, « une maladie française qu’il ne faut surtout pas soigner.», selon la formule de Mister Beigbeder*, avec ses statistiques (676 pour le millésime automne 2008, en légère baisse), ses stars, ses oublié(e)s, ses polémiques, spéculations, stratégies, ceux dont on parle trop ou pas assez, ceux dont on ne se souviendra plus le mois ou l’année d’après, ceux qui marqueront peut-être l’histoire littéraire… Hérésie ou moment béni: dans tous les cas on ne peut pas y couper !
Premier constat : la rentrée littéraire de septembre commence de plus en plus tôt. Désormais il n’est pas rare d’entendre dés les mois de mai-juin, les premiers « bruits » sur ce qui devrait faire l’évènement de la rentrée, qui publiera quoi et quand… Histoire de nous mettre dans l’ambiance avant l’ambiance, faire monter la pression sur cette actualité qui doit éclipser tout le reste et ce, avant même que son heure n’ait sonné !
Hors de la rentrée littéraire, point de salut ! Les premières avant (-avant-avant-…) critiques arrivent aussi de plus en plus tôt. Une véritable course-marathon s’engage, chaque fois plus en avance, pour nous bassiner présenter la rentrée alors que l’on ne rêve que de rattraper le retard déjà accumulé dans ses lectures d’hier et d’aujourd’hui.
La mi-août arrive et on a déjà la sensation que la rentrée littéraire de septembre bat son plein (voire que la messe est dite !)…
On essaie pourtant héroïquement de s’en tenir à ses « vieilleries » (« Oui je le finirai mon Anna Karénine ! ») qu’on avait soigneusement préparées pour les vacances, en tentant d’ignorer les Unes des journaux qui vous narguent à chaque kiosque (« Je suis en vacances, arrêtez de me parler de rentrée, rha !« ), de ne pas se laisser envahir par cette culpabilité voire cette angoisse de ne pas lire ce qu’il faudrait lire, d’accumuler un retard massif…
Pourtant je résiste aux sirènes : la rentrée littéraire de septembre ne passera pas par moi avant septembre. Non mais !
Mais quel est l’enjeu, le but d’une « rentrée littéraire » ? Mmh, bonne question. C’est l’effet « coup de projecteur » dont tout le monde vante les mérites. Une occasion unique de pouvoir dans l’année, attirer l’attention sur le parent pauvre de la culture, la littérature. Problème: le projecteur n’a qu’une zone d’éclairage limitée et face à la profusion, on ne retiendra au final qu’un petit nombre d’heureux élus tandis que les noyés dans la masse resteront hélas dans l’ombre, à tort ou à raison (?)… Injustice inacceptable ou loi darwinienne bien naturelle et nécessaire ? Je penche pour la seconde… (lire à ce sujet l’intéressant article du Bibliobs qui enquête sur ce que sont devenus 54 primo-romanciers de la rentrée littéraire de 1998, repéré par Actualitté)
Reste à faire le bon tri. Et c’est là que cela se complique…
Faut-il faire confiance aux critiques littéraires de la presse, à ses amis, sa famille, son libraire, aux blogueurs littéraires ? (ne comptez-pas sur moi pour vous donner la réponse, hein !).
Chacun tente de parier sur les bons auteurs, de dénicher la perle rare, « la révélation de la rentrée littéraire », quitte à estampiller de chef d’œuvre n’importe quel roman qui aurait été seulement « correct » en temps normal. Dans le feu de l’actualité, difficile d’avoir le recul nécessaire pour vraiment j(a)uger de la valeur d’une œuvre (avec toute la subjectivité et relativité que cela implique bien entendu) même si cela n’exclut pas le coup de cœur.
L’exercice reste ardu et ne manque pas de faire apparaître des décalages entre appréciation critique et publique. On se souvient l’an passé, de l’encensement tous azimuts d’Eric Reinhardt pour « Cendrillon », passablement boudé, (si je ne m’abuse), par les lecteurs (et qui a tenté de se relancer par la suite à travers l’affaire Kerviel).
Régis Jauffret et son « Lacrimosa » sera-t-il le Eric Reinhardt de la rentrée 2008 ? Mmh… je ne me risquerai à aucun pronostic mais un léger pressentiment m’étreint…
On pourrait distinguer en quelque sorte deux écoles dans ce « tri »: ceux qui se laisseront appâter par les « têtes de gondole » valeurs sûres (Nothomb, Rolin, Angot, Gaudé, Khadra, Dubois, Jauffret, Fleischer, Echenoz…) et ceux qui au contraire les éviteront « par principe ». Cette deuxième école considère en général que toute publication estampillée « Galligrasseuil » ne mérite pas ou (n’a pas besoin) d’être lue. Ce sont un peu les alter-lecteurs, ceux qui vantent, parfois un peu pompeusement, les mérites de toute une myriade d’auteurs tous plus inconnus les uns que les autres, mais « géniaux » parce que justement méconnus et surtout parce qu’émanant d’une « petite-maison-d’édition-indépendante » (la panacée).
Les auteurs dits confidentiels ont-ils plus de talent que ceux qui sont connus et/ou médiatisés ? Les pauvres sont-ils plus gentils et plus honnêtes que les riches (oui répondront en cœur Anna Gavalda et Muriel Barbery) ?…
Ce type de raisonnement me laisse toujours perplexe, moi qui ne prête jamais attention à l’éditeur qui se cache derrière un roman que je repère…
Mon seul critère pour décider de lire un roman c’est l’envie (motivée par le style, l’histoire, les thèmes ou éventuellement mais vraiment pas systématiquement l’auteur…), what else ?
Mais je cultive toujours une grande méfiance face aux nouveautés et ne suis guère amateur de prise de risques en la matière.
Je débute, par exemple, rarement la découverte d’un auteur par son dernier opus paru à la rentrée (ou à un autre moment d’ailleurs). Je préfère toujours l’aborder par une œuvre « reconnue » afin d’éviter de rater ma « rencontre » avec cet auteur. Et c’est ce que je reproche un peu aux critiques qui font des éloges parfois disproportionnés de certaines œuvres mineures, parce que tenant en haute estime l’auteur, ce qui peut conduire à décevoir certains lecteurs qui ne connaîtraient pas l’auteur en question et les rebuter à poursuivre avec le « bon livre » cette fois…
J’aime aussi attendre en général qu’un livre émerge vraiment de la masse, qu’il s’impose (parce que recommandation répétée, etc) et/ou qu’il corresponde à ma sensibilité littéraire. Ce qui ne semble pas être le cas cette année…
Comme me le disait l’écrivain Bénédicte Martin lors d’une interview, il me faut être vraiment « draguée » par le livre en question. Je ne suis pas de ces lecteurs/lectrices boulimiques (et que j’admire au passage !) capables d’ingurgiter un peu de tout (et de s’en régaler !), à la chaîne. J’ai l’amour très sélectif…
Qui dit « tri » dit « décryptage » et « tendances »… [Alexandra]
(Deuxième partie à suivre prochainement)
*Cette année, Frédéric Beigbeder fait d’ailleurs un éloge appuyé de cette « folie collective », avec parmi ses premiers coups de cœur « Faux père » de Philippe Vilain, « Les pieds dans l’eau » de Benoît Duteurtre, « Le juif et la métisse » de Fabrice Pliskin, « Où on va, papa ? » de Jean-Louis Fournier, « Les accommodements raisonnables » de JP Dubois, « Ce que nous avons eu de meilleur » de Jean-Paul Enthoven, il n’a pas chomé !
A lire aussi : Humeur « Rentrée littéraire » : Peut-on résister au diktat de la nouveauté ? (2006)
Le concept de « livre pour l’été »
8 Commentaires
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Le truc vraiment abyssal dans chaque rentrée littéraire, c’est ces papiers qui analysent les rentrées littéraires. Le plus loin que je me souvienne, c’était un papier de houellebecq il y a plus de 10 ans qui comparait ça à la foire aux vins. Toujours le même désir de conceptualiser les phénomènes qui aboutit tout à la fois à leur donner une importance qu’ils n’ont pas et à en occulter le contenu.
C’est à son potentiel d’introspection métaleptique qu’on reconnait le marronier.
oui, certes… je reconnais que j’ai pêché dans l’extra littéraire, mais je tenais vraiment à pester contre cette rentrée qui démarre vraiment trop tôt et gâche mes vacances !
Sinon dans la 2e partie de ce billet, nous nous pencherons davantage sur le contenu de ce millésime 2008, je te rassure !
Et puis il y aura bien sur quelques chroniques choisies auxquelles tu n’es, entre autres, pas étranger 🙂
Contenu de rentrée littéraire 2008 qui pour ma part ne m’enthousiasme pas vraiment…
Hormis le dernier Nina Bouraoui (et c’est vraiment relatif car en réalité si je devais lire prochainement un livre d’elle ce serait "La vie heureuse" chaudement recommandé), il n’y a rien qui me tente et ce n’est pas faute d’avoir vraiment regardé ce qui sortait (au moins français et américain), au moins dans les grandes lignes.
Trop social, politico-historique, trop glauque/trash, trop fade, trop déjà vu, trop chiant/"pas ma came" ou tout simplement juste pas assez tentant (par rapport aux autres livres que j’ai envie de lire)…, je n’ai vraiment pas eu (encore ?) de coup de coeur cette année.
A l’exception d’un petit livre dont le titre (assez excellent) a retenu tout de même mon attention (il en faut peu parfois). Il s’agit de : "Encore un jour sans massacre" mais après l’avoir parcouru, je n’ai pas été vraiment accroché par le style.
Je vous en reparle qd même en tout cas.
Et puis bien sur ma grosse addiction du moment : Gabriel Matzneff avec récemment en guise de livre de rentrée (republié il y a peu dc presque de la rentrée littéraire, si si en trichant un peu !) : "Comme le feu mêlé d’aromates", un essai sur son engagement dans la religion orthodoxe sur fond de voyage dans les contrées méditerranéennes.
Moins bien que "De la rupture" mais une vision et une relecture très originale des textes saints !
Si ma mémoire est bonne, la production de la rentrée littéraire 2007 ne m’avait pas non plus alléchée…
Enfin nous nous posions la question de la pertinence de présenter la rentrée littéraire sur Buzz littéraire qui se veut l’écho des livres dans le bouche à oreille des lecteurs. Bouche à oreille qui s’oppose par définition à l’actualité et qui ne peut s’estimer que sur le moyen voire le long terme…
Bon avouons que ces derniers temps il y a un peu pénurie de livres ("nouvelle génération" j’entends) qui émergent vraiment. Les nouveaux djian, houellebecq, beigbeder, despentes tardent à apparaître…Bad times pour la littérature nouvelle génération !
En complément de ce billet, je vous invite à découvrir ww.rentree-litteraire-2008.fr, le site de la rentrée littéraire de Hachette Livre, avec Michel Field : 28 entretiens menés par Michel Field avec des auteurs de la rentrée publiés chez Fayard, Grasset, Stock, Calmann-Lévy, JC Lattès et Hachette Littératures.
Très vraie votre dernière remarque.
Kundera dans un de ses essais littéraires rapporte qu’il avait conseillé la lecture de Gombrowicz à un ami. Celui-ci fut déçu par la lecture de l’un quelconque de ses romans.
Alors Kundera insista en lui recommandant la lecture de Ferdydurke. Cet ami refusa net de lire ce chef d’œuvre, au motif qu’il avait été déçu par le roman de Gombrowicz qu’il avait lu ….
Merci Arnivi de cette petite anecdote et au passage saurais tu me conseiller par quel (bon) livre commencer pour découvrir Gombrowicz que David Foenkinos ne cesse de citer, je serai curieuse…
Alexandra,
pour une lecture buissonnière, le journal de Gombrowicz permet de picorer ça et là d’autentiques perles de culture.
Malgré tout, Ferdydurke reste pour moi son chef d’œuvre, je l’ai placé dans ma bibliothèque entre l’homme sans qualité et la recherche. Il qui peut servir d’apéritif, ou de dessert, ou des deux à la fois: ce doit être le livre le plus léger et le plus profond que je connaisse.
Je n’ai jamais rien lu de Foenkinos, mais je vais réparer cet oubli sous peu.
Merci beaucoup Arnivi de ces conseils que je note précieusement. Je pense partir sur le Journal alors, appréciant bp le genre diariste.
Depuis le temps que je me pose la question. Tu as l’air de l’apprécier grandement en tout cas !
Pour débuter Foenkinos, auteur léger à l’humour loufoque, je te conseille "Le potentiel érotique de ma femme" ou "En cas de bonheur" qui sont ses deux romans les plus plébiscités des lecteurs. A noter qu’en cette rentrée, il revient avec un nouvel opus "Célibataires".
J’ai découvert, par hasard, cet été, un premier roman nommé “Petites musiques de vies” dont la tendresse, l’écriture simple et poétique m’ont émue. L’auteur, Eric Fontanarava, illustre inconnu, jongle délicatement avec les mots et pourtant, à part quelques blogs de lecture, personne n’en parle.
Ce roman, mais il y en a beaucoup d’autres, fera-t-il partie des oubliés, des morts-nés de la rentrée littéraire ? Je suis un peu stupéfaite (mais je le suis chaque année !) du peu de place fait partout aux nouveaux auteurs de petites maisons d’édition.
Faut-il nécessairement porter la griffe d’un éditeur célèbre pour avoir du talent ? Vous en parlez dans votre article. Tous les auteurs de « petite-maison-d’édition-indépendante » ne sont pas nécessairement la panacée mais, ce qui est sûr, c’est qu’ils ne bénéficient pas de la couverture médiatique des grosses maisons (ou même ne bénéficient d’aucune couverture médiatique).
J’ai eu cet auteur par courriel, via son blog, et il me racontait les difficultés à ce que quiconque, des « milieux littéraires », s’intéresse à ce qu’il avait écrit où, même, réponde à ses courriels, mais il n’avait pas l’air désespéré pour autant, pensant (je n’ai pas voulu le détromper) que le bouche à oreilles était aussi fondamental que la « publicité ».
Je suis sure qu’il y a là un intense vivier de qualité et, très franchement, je préfère aller à la pêche aux merveilles, aux petites perles oubliées de tous que de me jeter sur les mastodontes dont on nous inonde qui font, sans même avoir le temps de prendre le recul de l’analyse, des tirages exceptionnels.
Voilà mon petit commentaire car j’ai ce petit sentiment de malaise de passer, par la force des choses, par non-information, à côté de quelque chose d’important.
Monique