Dans le cadre de notre rubrique « BUZZ… littéraire Guest », notre invité Stéphane Million, jeune éditeur indépendant et fondateur de la revue littéraire « Bordel » vous donne rendez-vous mensuellement pour une tranche de vie sur son nouveau métier et livre son regard de lecteur impénitent sur l’actualité littéraire.
Cette semaine, il nous commente la saison des prix littéraires qui s’achève : du prix Goncourt au Renaudot… Mais pas un mot sur le prix de Flore… Corrosif !
La saison des prix littéraires touche à sa fin. Je suis resté assez distant de tout cela. C’est une énorme arnaque, une mise en scène d’un petit monde bouilli, avec très peu de jolies filles. Bon, je suis quand même très heureux pour Frédéric et le prix Théophraste Renaudot, il rejoint le Céline de 1932. Visiblement cette année, il y a eu une coexistence pacifique : Grasset a obtenu deux grands Prix, je crois : le Renaudot donc et le Médicis. Si je me goure c’est pas bien grave. Je ne sais pas du tout qui est le Médicis, un Haïtien je crois, encore un truc à la con, de bonne conscience, de jeux d’influences, de messages « humanistes » donnés aux médias etc. etc. Tant mieux pour ce zozo. Tant mieux pour cette tambouille et ses cuistots peu ragoûtants.
Du côté des Goncourt, il y a eu pire que le coup de l’Afghan aux faux airs du chanteur de la tournée des yé-yés : la première de la classe, vous savez celle à qui vous avez pas du tout envie de parler, celle qui maîtrise mieux que personne l’imparfait du subjonctif, qui a tout lu le programme de l’agrégation et qui connaît le sens du mot « déréliction ». Mais où est la voix de l’écrivain, son ventre qui gargouille, son imagination fouillis, là, je ne lis qu’une bonne rédaction. Une dissertation grammaticalement parfaite, mais quel ennui, quel non-intérêt total. Alors ok, c’est Gallimard (ils publient un nombre de merdes, de façon foisonnante par contre, mais ils ont la carte, les libraires, les journalistes, tout le monde adhère, adore, c’est juste comme ça, et voilà quoi). Alors le Goncourt à un recueil de nouvelles sur un sujet bien larmoyant, bien socialement impératif, patati et patata… Ça ne sera pas moi !
Dans ce monde de dingues… Y a évidemment un mec de l’UMP qui veut aussi jouer à tuer la polémique (y a une polémique chaque jour, et plus personne ne fait gaffe à rien : c’est Sodome portes-ouvertes) : il réclame « un devoir de réserve » pour le lauréat du Goncourt. Ça fait un peu de bruit en boucle sur Itélé, ça gigote minablement sur le blog de Morandini, puis au lit, une nuit et c’est passé. La seule chose sur laquelle on devrait s’énerver un minimum, c’est que le livre est tout pourri, que la méthode du choix est insupportable (personne ne lit et on file le prix à quelqu’un qui représente un message, un symbole, un Afghan quand c’est l’Afghanistan qui est dans les larmes des gens, là, une femme métisse très intelligente qui parle de souffrances pouêt-pouêt), tout ça est plus du domaine du département markéting que de la direction littéraire.
Mais il y a d’autres raisons de révolte que ce jeu entre octogénaires, je suis bien d’accord. Ce qui est assez rigolo aussi c’est d’aller voir un peu d’où viennent tous ces Prix : tous ont été créés pour récompenser des jeunes talents, par des gens qui en avaient marre des institutions plan-plan. Et nous voilà en 2009 avec un vieux monsieur qui bafouille (son Brouilly) pour annoncer le lauréat du Goncourt, qui finit par tenir le micro d’un autre escogriffe moins replet mais tout aussi entremêlé de vapeurs (d’enthousiasme ?) qui peine à relire les fiches écrites par une petite stagiaire (de l’ESSEC, de l’ESCP…) : ça dure des plombes, on apprend que Garcin a eu 2 voix (pourquoi, ah bon ? c’est une info ?), puis qu’untel, euh, non, en fait, à la dixième tournée (c’est celle du patron ?) etc. etc. etc. Ok je peux comprendre ces pépés, on les place là-dedans, ils représentent aux yeux du grand public, la tradition, le sérieux, l’expérience, ils ont connu Malraux, Couve de Murville, et surtout Émile Loubet (alors là c’est une vanne pour super balèzes en histoire). Mais les mouflets du Goncourt des lycéens, idéalistes, gauchistes, altermondialistes, tout ça, eux, ils devraient redonner du panache, du bide à toute cette chienlit.
Bon, notre ami Foenkinos était encore en finale, mais il a encore paumé. Un bon séisme en Grèce, et ça serait passé… À quelques milliers de malheureux près, pas de bol. Donc le porte-parole des lycéens, entouré par les autres membres du jury, annonce le gagnant (j’ai oublié son nom, chez Albin Michel, enfin une maison tournée vers le grand public). Le journaliste de France 3, curieux, enjoué, demande de quoi parle le roman du lauréat et, là, patatras… Le petit mec s’en sort pas trop mal, je reconnais, il raconte que c’est le livre qui est sorti en tête des discussions, qu’ils ont beaucoup discuté, qu’ils en ont parlé entre eux : mais euh de quoi ça parle ? Même le résumé fourni avec le livre par l’éditeur, ça aurait suffi. Alors voilà, c’est ça la saison des Prix : des torgnoles qui se perdent. [Stéphane Million]
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5 Commentaires
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Stéphane Million qui reproche à NDiaye d’être un cliché sur pattes, c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité pour M. je me meurs tellement d’être branché. Qui, effectivement, ne dit rien sur le Flore.
Je ne vois pas en quoi sa posture à lui et à tous ses petits amis à phrases courtes est moins ridicule que de bien écrire, dans un français grammaticalement correct.
Ce type transpire la suffisance pour pas grand chose et nous sort des banalités (wow sans déconner les prix littéraires c’est une histoire de maisons d’éditions! ouh le rebelle!)
On se passerait aussi de ses remarques sur les femmes.
On a bien compris que ndiaye ne le faisait pas fantasmer, puisque c’est là qu’il semble placer le talent. Alors qu’il aille prendre des cafés à Odéon avec Alexandra Geyser, cette grande écrivain, la bonne blague, et qu’il arrête de nous servir ses conneries pitoyables.
c’est choquer pour exister, finalement. Un concept. Je rejoins le commentaire de Martin B. ("une bonne rédaction" ? ça donne le degré d’ouverture d’esprit et de sensibilité de l’envoyeur. Je suppose qu’après avoir lu trois phrases correctes, il s’est dit "Pfft sans dec’, nan mais jeul crois pas, pfft ah l’établischmente…" et a refermé le livre. Dommage qu’il ne se soit pas fait ces réflexions in petto)
Il a pourtant raison Million : Gallimard et consorts publient un nombre de merdes incalculables. Finalement les petites éditeurs sont bien plus sélectifs dans leurs choix. Et puis les prix littéraires ne sont pas faits pour être lus mais pour être offerts à Noël. Pour ma part j’achète toujours par principe le dernier Goncourt à ma belle-mère. Je sais, c’est ignoble, mais je ne résiste jamais à la tentation de lui infliger quelques jours de souffrance (cette cruche met un point d’honneur à toujours finir les livres qu’elle a commencés gnark, gnark, gnark)
Je peux comprendre la colère de Million qui se lance dans l’édition avec intégrité et pureté (quoi que l’on puisse en dire), et qui s’insurge contre le fait que ce soit toujours les mêmes maisons, les grosses, qui remportent des prix, ce qui est minable. Cela étant je suis ravie du prix Médicis à Danny Laferrière, un écrivain québécois déjà très célèbre à Montréal, une grosse pointure. Les canadiens français ont accueilli beaucoup d’haïtiens, la communauté est importante, et bien implantée.
J’aime bien le ton de cette chronique, le monde de l’édition et des prix littéraires a besoin qu’on lui rentre dedans et pas qu’un peu…les négriers de romanciers courent les places publiques…exploiteurs qui se fourrent tout dans la poche. Rien pour les créateurs!
Bon d’accord j’expédie un peu, mais vu le nombre des livres que j’ai acheté et pas finis, je m’autorise à parler. C’est même pour ça que j’ai écrit mon roman…je me faisais tellement ch…j’espère que ce message passera…