Les success-stories d’auteurs autopubliés (en particulier via la plateforme dominante d’Amazon « Kindle Direct Publishing ») s’affirment en France ces dernières années. Ces auteurs indépendants, participant au Salon du livre de Paris, représentaient un chiffre d’affaires de 82 millions d’euros en 2013, pesant environ 3 % du chiffre d’affaires global de l’édition, selon le syndicat national de l’édition. Face à un marché de l’édition de plus en plus polarisé (entre best-seller et ventes anedotiques de quelques centaines d’exemplaires) l’autoédition représente une manne pour un entre-deux (entre 5000 et 20.000 exemplaires vendus). D’autant que la marge reversée sur les droits d’auteurs est bien supérieure (ex : jusqu’à 70 % pour les e-books sur Amazon, 50 % sur Bookelis, et de l’ordre de 20 % sur Edilivre.com pour le format papier contre 8 ou 10 % dans l’édition classique). A tel point que même certaines personnalités (comme Grégory Samak directeur de BFM, en France avec « Le livre secret » en 2014) s’y mettent !
L’incroyable trajectoire de (la depuis très prolifique!) Agnès Martin-Lugand en est sans doute à ce jour la plus emblématique. Débutant avec Les gens heureux lisent et boivent du café en 2012 (près de 400.000 exemplaires vendus avec les droits étrangers achetés par 18 pays , avec en prime les droits cinématographiques acquis par Harvey Weinstein en 2015 pour qu’il soit adapté à Hollywood, suivi de de deux autres romans en 2014 et 2015 qui ont fait aussi bien pour atteindre le total d’1 million d’exemplaires, son dernier date de 2016, Désolée, je suis attendue avant celui de 2017 déjà programmé ! ), elle figure à la 13e place (8e en France) du palmarès annuel du Figaro-GFK des plus gros vendeurs de livres en France en 2016, aux côtés de mastodontes comme Lévy, Musso ou encore Michel Bussi.
Désormais, c’est au tour d’Aurélie Valognes de lui emboîter le pas avec Mémé dans les orties. C’est par peur de la réponse négative des maisons d’édition que cette trentenaire ancienne cadre dans le marketing décide de passer par Amazon. Après 25000 exemplaires vendus en autoédition en 2014, parvenant à prendre la 1e place devant Trierweiler et Zemmour, c’est finalement Michel Lafon qui viendra la chercher en 2015 (comme il a fait avec Martin-Lugand en 2013). Il en écoule 20000 en grand format puis 300000 au format poche. A l’étranger, cela se chiffe à 200000 (source : Le parisien, 2017), selon l’auteur (elle figure dans les meilleures ventes d’Amazon US où les commentaires enthousiastes pleuvent!).
Dans la veine d’une Gavalda (notamment « Ensemble c’est tout ») ou de Muriel Barbery (« L’élégance du hérisson »), son roman transgénérationnel et familial est axé sur le thème de la solidarité et de l’altruisme. Comme le décrit Amazon, il s’agit d’une « histoire positive inspirée du quotidien » ou encore selon son éditeur « une cure de bonne humeur ». Une « recette » éditoriale qui a fait ses preuves ! L’auteur, âgée de 31 ans, travaillant dans le marketing, le qualifie, elle, de « léger et divertissant »et raconte : « Dans mon premier roman, je fais rencontrer une mamie nonagénaire superactive avec un voisin de palier grincheux qui n’a plus vraiment goût à la vie. Ce livre part de l’observation qu’il existe des personnes âgées très différentes: celles qui sont ouvertes sur le monde et qui désirent vivre pleinement chaque jour; et celles qui pensent que la vieillesse est une fatalité et qu’ils n’ont plus rien à attendre de demain. Dans un roman, tout devient possible et chaque être, même récalcitrant au changement, peut alors se mettre à évoluer, en bien, et vivre une vie plus lumineuse »
Ce livre, écrit en quelques mois, lui a été inspiré par son affection pour ses grands-parents et la façon de vivre « un peu épicurienne » des personnes âgées en général qui prennent leur temps de vivre.
Comment bien promouvoir son livre auto-publié sur Amazon ? Les conseils marketing d’Aurélie Valognes
Le Graal pour un livre autopublié est de figurer dans le top 100 des ventes Amazon : c’est ce tremplin qui lui permettra d’obtenir la visibilité suffisante pour cumuler les ventes et/ou être remarqué par un éditeur. Car aujourd’hui, malgré les promesses et avantages de l’auto-édition, signer chez un « vrai » éditeur reste malgré tout l’objectif des auto-publiés, leur assurant notamment une diffusion en librairie et grandes surfaces donc une plus grande visibilité. Aurélie Valognes plébiscite aussi le re-travail de fond avec son éditeur pour améliorer la qualité de son opus (comme « entrer plus rapidement dans le vif de l’histoire« ), sans compter toute la négociation -complexe- des droits annexes (poche, cinéma, droits étrangers, France Loisir, Audio, etc.). Bonus : l’auteur peut désormais choisir de garder tout ou partie de ses droits numériques selon la négociation.
A. Valognes souligne l’importance du marketing pour générer du bouche à oreille notamment à travers les commentaires des lecteurs. D’après elle « croire que le roman va se vendre seul, juste grâce à son histoire, est une erreur ». Le titre du roman (qu’elle choisit ludique), la couverture (qu’elle choisit de faire sur un fond vichy rouge pour se démarquer des arrière-plans blancs habituels), le descriptif doivent attirer l’attention et donner envie de télécharger l’extrait gratuit pour commencer. Elle avait référencé son roman dans la catégorie « humour ». C’est après 1 mois d’activité que les choses commencent à décoller. Une fois sa famille et ses proches informés de sa publication et ayant laissé 6 commentaires, elle commence à voir apparaître des avis d’inconnus (elle comptabilisera 190 avis pour 25 000 ventes, soit moins d’un avis pour 100 lecteurs). Le pic de ventes s’est fait sentir après son entrée dans le top 100 ainsi qu’aux périodes commerciales propices comme Noël. L’auteur recommande d’avertir son réseau rapidement afin de bénéficier pleinement des 2 mois de visibilité en tant que « Nouveautés » sur Amazon : « le moment où tout se joue » confie-t-elle. Elle a ouvert une page Facebook auteur et un site web seulement une fois n° 1 du Top d’Amazon. La détermination du prix joue aussi son rôle : il doit correspondre aux prix des autres romans du même genre sur la plateforme (ici fixé à 2.99€ ; 0,89€ pour Martin-Lugand à l’époque). Il s’agit du prix plancher sur Amazon pour pouvoir toucher 70% des revenus des ventes.
Son éditeur chez Lafon (Florian Lafani) souligne d’ailleurs que le pari pour un éditeur est de parvenir à faire acheter ce même livre à 16€ en librairie, un tout autre travail selon lui. Editeur qui a d’ailleurs a pris la relève promotionnelle du roman via notamment son envoi aux blogueurs désormais incontournables d’un plan de communication éditorial, outre l’envoi à la presse, combiné à des animations digitales (le hashtag #mamieconnectee sur Twitter et Facebook invitait chacun à partager des exemples des belles actions de ses grands-parents). Le livre de poche a organisé, lui, un micro-trottoir sur le titre en guise de vidéo de présentation sur Youtube.
Son conseil d’écriture pour toucher un grand nombre de lecteurs ? « parler à leur cœur, et pour cela il faut écrire des histoires en pensant à eux, et pas à soi ». A contrario, David Stut directeur d’Edilivre, une autre plateforme d’autoédition, indique qu’une grande partie des ouvrages auto-édités sont des témoignages ( mémoires de famille de grands-ou récits dérivés de blogs). Le délai d’acceptation est de 3 semaines avec un taux de refus de 25 % (source France 24).
A noter que Valognes a elle-même suivi les conseils d’un autre auteur à best-sellers : le fameux Bernard Werber (SF) lors d’un atelier d’écriture qui l’a aidée à structurer le contenu du livre), et du scénariste Anael Verdier qui propose une méthode pour écrire un roman en 100 jours, tous deux sur Youtube.
Elle précise aussi avoir retravaillé en direct son manuscrit en fonction des commentaires des lecteurs. Voulant surfer sur sa popularité, elle a déjà sorti en mai dernier son deuxième roman, Nos adorables belles-filles, toujours basé sur des « relations familiales et amicales déjantées, de l’humour, des émotions et des surprises » selon son résumé, et en prépare un troisième.
La relève est déjà assurée puisque sa conseur Amélie Antoine qui peut s’enorgueillir de 15000 ventes sur KDP avec son thriller Fidèle au poste a pris le même chemin qu’elle en mars 2016 chez Michel Lafon , décidément au taquet sur les autoédités de l’écurie de Jeff Bezos ! Elle est bien partie pour finir aussi best-seller sur Amazon US où déja plus de 3000 commentaire depuis septembre 2016 chantent les louanges de sa traduction sous le titre Interference !
Louisiane C. Dor : une jeune auteur, à la Lolita Pille, autoéditée et signée chez Gallimard
Autre réussite : celle d’une jeune écrivain de 23 ans, Louisiane C. Dor, qui a publié en avril 2015 une autofiction, Les méduses ont-elles sommeil ?, sur son expérience des « drogues festives » (MDMA) alors qu’elle vient de monter à Paris et se laisse griser par sa vie nocturne.
Point commun avec Martin-Lugand (son modèle), son roman a bénéficié des conseils du même conseiller littéraire avant publication, même si elle ne réalise pas encore les scores impressionnants de vente de son aînée.
Elle détaille une stratégie similaire à cette dernière et à Valognes : choisir un titre accrocheur (sous forme de question qui intrigue le lecteur et qu’il ne pourra comprendre qu’en lisant le livre. CQFD!), miser sur des mots clé pertinentts comme « drogue » « jeunesse » ou les titres de livres phare sur le même sujet, comme « Christiane F », ou « L’herbe Bleue », inviter ses contacts à se procurer le livre le jour de sa sortie afin de le propulser dans le fameux top 100 Amazon. Elle y parvient mais sans s’y installer suffisamment longtemps pour accélérer ses ventes. Elle décide alors de devenir sa propre attachée de presse et adresse alors un dossier de presse de son cru avec son livre et des extraits à une centaine de petits journaux, radios locales, blogs littéraires.
Malgré quelques articles, le buzz ne prend pas. Alors elle ose contacter les grands médias et c’est Paris Match qui mord à l’hameçon et la lance en lui apportant la visibilité nécessaire pour créer un effet boule de neige. Autre levier intéressant selon elle : la publicité (payante) sur Facebook. Elle souligne que l’actualité de son sujet « dans l’air du temps » aura aussi facilité l’intérêt des médias. Après avoir écoulé 4000 exemplaires en ligne, et afin de bénéficier de moyens de promotion plus importants, elle publie son roman en 2016 chez Gallimard dans leur collection « Nos vies », avec une sortie poche chez Folio prévue en cette année 2017.
A lire aussi sur le même thème :
Wattpad : l’usine à histoires statistiquement correctes
Sources : Amazon, Les Echos, Le Parisien, Blogbuster.fr, Ecrire-et-senrichir.com, Blog de Thibauld Delavaud, Enviedecrire.net
3 Commentaires
très bon article, complet et instructif !
Intéressant, oui, Mais dommage qu’il n’existe pas vraiment de clé!
GRAND merci pour cet article !
un auteur qui sue sang, travail et larmes.