Dans ce premier roman, paru en 1996, intitulé explicitement « Dans ma chambre », (feu) Guillaume Dustan, écrivain gay revendiqué et prix de Flore 99, nous fait pénétrer dans son intimité érotique et majoritairement autobiographique. Lui-même définit cette œuvre d’autofiction comme son « autobiographie érotique sur fond de grégorien-rap, parce que quand j’écris, j’écoute Depeche Mode » (p.63). Ces confidences livrées à sa doctoresse sont les seules à illustrer son approche très personnelle de l’écriture. « Dans ma chambre » est un roman cru, direct, sur les us et coutumes, si l’on peut dire ainsi, du monde ou plutôt du ghetto gay auquel Dustan appartient dans les années 90. Sa confession intime nous dévoile une succession de scènes d’amour hard, clairement détaillées, sans affect ni recul. Une approche presque clinique et technique où le plaisir rime presque avec performance sexuelle et surtout liberté totale de « jouir sans entraves ». Avec pour background l’épidémie de sida qui décime son entourage, l’auteur-narrateur laisse apparaître au fil des pages un état psychologique plutôt désespéré et hanté par la mort.
Littérature intimiste
Les livres des "choses de la vie", les "fragments de la vie des gens" aux héros névrosés, paumés, losers magnifiques. Attentifs aux détails du quotidien et au désespoir ordinaire qu'ils content avec sensibilité, subtilité voire cruauté ou cynisme... Une littérature puisée au plus profond des êtres. Romans psychologiques et existentiels.
Un bonheur parfait de James Salter: « Nous sommes nés pour ne rien avoir, pour que tout file entre nos doigts. »
Paru initialement en 1975 sous le titre Light years, Un bonheur parfait de James Salter a fait l’objet de ré-éditions plus récentes. Connu pour son roman American Express (1995) notamment, après une expérience de pilote dans l’US Air Force et sa participation à la guerre de Corée, il est admiré pour son « style à l’élégance …
« Maria avec et sans rien » (« Play it as it lays ») de Joan Didion, L’envers du décor
« Maria avec et sans rien » (« Play it as it lays ») de Joan Didion: le nom de l’auteur a été très présent en cette rentrée littéraire de septembre 2007, notamment à travers la publication de son dernier roman « L’année de la pensée magique », lauréat du « National Book Award » qui retrace sa lutte pour surmonter le décès soudain de son mari, le romancier et scénariste John Gregory Dunne avec qui elle formait un couple phare de la vie culturelle américaine et interroge ainsi la fin sèche et tragique de l’existence.
Sans moi de Marie Desplechin: Le « combat ordinaire » au féminin (adaptation au cinéma 2007)
C’est avec ce deuxième livre « Sans moi », écrit en moins d’un an, que Marie Desplechin a été révélée au grand public (adulte) en 1998, avec près de 150 000 exemplaire vendus en France et une traduction dans une quinzaine de langues : « un roman qui avait su soulager les maux d’une génération » selon l’expression de la presse. Cultivant la fibre intimiste chère à son frère, le réalisateur Arnaud Desplechin, cette free-lance dans le secteur de la communication et mère de 3 enfants (métier qu’exerce aussi son héroïne également maman, que l’on sent très proche de l’auteur) et auteur pour la jeunesse (publiée à l’Ecole des Loisirs), a su toucher son lectorat avec ce qu’on a coûtume d’appeler « une histoire de femmes », une histoire de solidarité et d’amitié féminine dans un monde qui ne les épargne pas beaucoup. Une histoire de sauvetage aussi où l’espoir domine malgré la noirceur. La plume fine et limpide de l’auteur parvient à transcender le quotidien et sa trivialité pour révéler la profondeur des sentiments et des mal-êtres, ces fameux « icebergs » comme elle les surnomme. Crises sentimentales, doutes, solitude, névroses familiales et sociales, crainte de la précarité sociale et professionnelle : avec son humour léger et un sens de la psychologie aïgu, elle tamise les petits riens de la vie pour en recueillir les pépites. On pourrait craindre l’ennui mortel ou le pathos mais il n’en est rien. L’auteur nous accroche, nous attache, sans même nous en rendre compte, à ces deux âmes cabossées, à leur fragilité. Et livre ainsi un portrait émouvant et sans fards d’une certaine féminité contemporaine… Un roman qui devient film en ce mois d’octobre 2007 (affiche ci-contre).
Le cri du sablier de Chloé Delaume, Tempête de sable paternelle
« Le cri du sablier » de Chloé Delaume est son deuxième roman sismique, après son premier « Les mouflettes d’Atropos » déjà paru en 2000 chez Farrago. Publié en 2001 et lauréat du prix Décembre, il est le récit d’une expulsion, d’un « avortement parental ». Il constitue en quelque sorte la genèse (même si écrit postérieurement) des Mouflettes d’Atropos auquel il est directement relié. Comment dire l’indicible ?
« Le Moral des ménages » d’Eric Reinhardt, Une vie française « moyen format », antichambre de son roman « Cendrillon »
Eric Reinhardt est une des stars de cette rentrée littéraire 2007 avec son quatrième roman « Cendrillon », un roman polyphonique et ambitieux : « un roman global, roman d’amour, conte social et politique satirique » et « une formidable odyssée mentale dans l’univers d’un homme et d’un écrivain qui s’interroge sur ce qu’il serait devenu s’il n’avait rencontré Margot, sa femme reine, à laquelle il rend un vibrant hommages » selon l’expression du Monde. De nouveau « la classe moyenne » et ses désillusions sont au coeur de ce récit à travers les trois personnages fantasmés d’un trader en fuite, un chômeur dépressif et un géologue insipide. « Un remake labyrinthique du Moral des ménages, publié en 2002 », estime Télérama. La classe moyenne (« ces gens-là qui pourissent l’atmosphère, qui entraînent la société tout entière dans leur misérabilisme de pacotille, qui considèrent le paramètre de consommation comme un piège à cons qu’ils sont assez malins pour éviter, on n’en parle absolulement jamais. ») est en effet l’obsession de l’auteur qui s’était fait remarquer avec son deuxième roman « Le moral des ménages », roman (disponible en poche) que j’ai donc eu envie de découvrir comme entrée en matière, et partager avec vous mes impressions. Sous une forme iconoclaste, ce réquisitoire sans concession, de veine très autobiographique, s’avère un roman très honorable d’anti-héros, dans une veine Houellebecquienne (référence devenue galvaudée et qu’il renie d’ailleurs mais bon…) et de Jauffret (on y trouve aussi un peu de l’ambiance de « Tempête de glace » de Rick Moody mais en mieux, n’ayant pas aimé ce dernier). Un roman au vitriol sur un air de « famille je vous hais » mais aussi sur la solitude, la misère affective, la frustration sexuelle et sociale. Une réflexion tranchante, hypnotique et poignante, avec quelques fulgurances, qui se lit d’une traite, même si quelques répétitions alourdissent parfois le récit.
« Le grenier » de Claire Castillon, La passion amoureuse à ventre et à cris
« Le grenier » de Claire Castillon, c’est avec ce premier roman que l’auteur parisienne, alors âgée de 24 ans, titulaire d’un DEUG de lettres, est officiellement entrée en littérature. Officiellement car jusqu’ici elle écrivait déjà, mais à visage masqué, les romans des autres. Un travail alimentaire frustrant pour l’impétueuse romancière à la plume fébrile. Un premier roman en forme d’autofiction même si le terme ne veut pas dire grand-chose, presque de confession aux accents freudiens. Un « livre sur rien » comme certains qualifient les romans intimistes, et comme elle l’écrit ironiquement, dans l’une de ses pages comme si elle anticipait déjà le verdict des bien-pensants: « Des livres qui ne racontent pas d’histoire, qui divulguent deux trois états d’âme. » Sauf que « Le grenier » est tout sauf un livre sur « rien ». Il est au contraire « plein » ce grenier, empli de (douloureux) souvenirs d’enfance, de monstres, de colère, de violence, de jalousies, d’un besoin désespéré d’amour, de désir, de paillettes et de dégueulis…
« Falaises » d’Olivier Adam : L’écume des nuits
Le dernier mot de « Falaises » d’Olivier Adam est « lumineux ». Et c’est peut-être cet adjectif qu’il faut garder pour décrire le cinquième roman, en lice pour le Goncourt 2005, de cet écrivain à part à la sensibilité écorchée. Une lumière violente, âpre, tout en claire-obscure qui déchire les nuits « noires et profondes comme le monde », parvient à se faufiler à travers l’ombre des falaises qui « se découpent dans le tissus du ciel »… Une lumière, celle de la vie qui continue d’avoir le dessus malgré la tragédie, l’acharnement du destin, le manque et le chagrin…
Arnaud Cathrine : Entre cicatrices d’enfance et désespoir élégant… (1)
Arnaud Cathrine, 33 ans (né en 1974), fait figure de chef de file de ce courant de « jeunes auteurs impressionistes », aux côtés d’Olivier Adam avec lequel il partage un éditeur (« L’école des loisirs » pour qui il a écrit une dizaine de livres pour enfants et adolescents). Apparu sur la scène littéraire en 1998 à l’âge de 24 ans, avec un premier roman hallucinant « Journal d’un coeur sec », un huis-clos éprouvant sur la peur et l’abandon de deux orphelins en pleine guerre civile, il faisait déjà entendre une voix singulière, à la fois distante et tenue. Huit romans plus tard, un scénario (« Le Passager » récemment sorti au cinéma, adapté de son roman « La Route de Midland »…), la mise en paroles de titres de Florent Marchet ou de Claire Diterzi (il se destinait initialement à une carrière musicale), cet ancien élève de Khâgnes, a tracé son sillon et imposé son style épuré, à la fois fluide et acéré :
Sweet home d’Arnaud Cathrine (sortie poche) : Entre cicatrices d’enfance et désespoir élégant… (2)
Sweet home est le cinquième roman du prolifique Arnaud Cathrine qui vient de sortir en poche et publié initialement aux éditions Verticales lors de la rentrée littéraire de septembre 2005. Son éditeur le décrit comme « une saga intimiste, un tombeau lumineux pour une mère défunte, un exercice de deuil et d’émancipation. » Et pour une fois on peut faire confiance à la 4e de couv », fidèle à l’oeuvre. Dans ce sweet-home, plus bitter-sweet que réellement sweet comme on peut s’y attendre, l’auteur nous entraîne au coeur d’une famille en voie de décomposition…
« La douceur » de Christophe Honoré, Les amants (et enfants) criminels
Dans ce deuxième roman, « La douceur » paru en 1999 (après l’Infamille paru en 1997 ), Christophe Honoré revient sur les terres de l’enfance aux portes de l’adolescence à travers notamment la première expérience amoureuse homosexuelle. Expérience absolue et fatale… Christophe Honoré est connu pour évoquer des sujets difficiles qui lui tiennent à cœur: l’enfance et l’adolescence, les liens entre frères, le suicide, l’homosexualité ou encore les secrets de famille. Il est réputé pour ne pas craindre de choquer ou d’explorer de nouvelles voies en littérature.
« L’infamille » de Christophe Honoré : Le roman noir et vénéneux de la famille
« L’infamille » de Christophe Honoré, un néologisme qui résume parfaitement à lui-seul la dislocation de cette famille que nous présente l’auteur dans son premier roman difficile, paru en 1997, à l’âge de 27 ans aux éditions Verticales. Une famille qui n’en a que le titre, gonflée de non-dits, d’un malaise étouffant et malsain qui a sali ses enfants et gâché leur vie. Une anti-famille dans laquelle il est bien difficile de trouver sa place et de grandir sereinement. Le romancier livre ici une réflexion âpre et sans concession sur « l’esprit de famille », l’ambivalence des liens de sang et de « l’appartenance familiale »… Avec en filigrane cette question insoluble : Peut-on guérir de sa famille ? (visuel d’illustration à gauche : les deux frères -Louis Garrel et Romain Duris- héros du film « Dans Paris », réalisé par Christophe Honoré en 2006)
Histoire d’amour de Régis Jauffret : Radioscopie d’un « noir désir » ou Quand le violeur tombe « amoureux » de sa proie…
« Histoire d’amour » de Régis Jauffret: Un homme. Une femme. Une rencontre furtive dans un wagon de métro. Un coup de foudre et… le début d’une romance ? Chez Régis Jauffret l’équation est plus complexe et vire plutôt à l’anti-romance. Publié en 1998, ce roman court, dense et hautement troublant imagine une « histoire d’amour » à la fois diabolique, parfois intenable et pourtant intense…
« Fragments de la vie des gens » de Régis Jauffret : La vie en noir (au goût d’anxiolytique)
Dans ce recueil publié en 2000, Régis Jauffret invente une nouvelle forme de nouvelle (terme qu’il n’aime pas) : le « fragment socio-littéraire » ou encore le « micro-roman ». Mille morceaux de vie tranchants et hérissés capturés sur le vif et qui se lisent comme on entrerait par effraction aux domiciles des « gens » : couple, famille ou célibataire en crise… Comme on épierait par la fenêtre de ces immeubles, barres de concentré de vie, de désespoir, ennui ou découragement ordinaires. Les petites et grandes tragédies modernes de l’humanité urbaine en 56 actes. Régis Jauffret, peintre ultra-réaliste des micro-sociétés dans la société brosse ici, à grands coups de pinceau noir, ses angoisses et névroses individuelles. Trajectoires à pic de ces anonymes en souffrance, au malaise insoluble. Une écriture en apnée où jamais l’auteur ne laisse le lecteur reprendre son souffle pour mieux l’engouffrer dans les marécages de l’existence…
La Disparition de Richard Taylor d’Arnaud Cathrine : Portrait en ombres chinoises d’une déroute masculine
Le prolifique Arnaud Cathrine revient en cette rentrée littéraire de janvier avec La Disparition de Richard Taylor, sixième roman qui rompt quelque peu avec son style au spleen élégant pour une écriture plus pragmatique voire humoristique. Inspiré d’une nouvelle initialement écrite par l’auteur pour la revue Remix, il fait écho aux premières pages du livre de la romancière écossaise A.L. Kennedy « Le Contentement de Jennifer Wilson » qui en constituet le point de départ.
« Clémence Picot » de Régis Jauffret, Quand l’infirmière est l’agresseur… (1/2)
Abasourdi. Pétrifié. Tétanisé. Révulsé. Mais surtout fasciné. Tels sont les réactions du lecteur face à ce sixième roman, en forme de monologue labyrinthique, signé de Régis Jauffret en 1999. C’est ce roman terrifiant qui a révélé l’écrivain à un large public (après le remarqué « Histoire d’amour » en 1998), lui apportant une certaine notoriété, reconnue par la suite par plusieurs prix littéraires. Reposant entièrement sur le personnage et sa personnalité psychotique, « Clémence Picot » s’inscrit dans la lignée du roman psychologique sous son prisme le plus noir, auquel se mêle une dimension étonnante d’absurdité burlesque, la marque de fabrique de l’auteur. Avec son écriture systémique quasi chirurgicale, Régis Jauffret découpe au scalpel le portrait horrifique d’une infirmière de 30 ans en quête de maternité ou d’un substitut à sa solitude extrême, avant de basculer dans une folie profonde et dévastatrice… est-elle un monstre l s’est imposé comme l’un des romanciers les plus originaux de l’époque – le plus noir, le plus absurde, le plus systémique, aussi. Qui a dit le plus fou ?
« Clémence Picot » de Régis Jauffret, Quand l’infirmière est l’agresseur… (2/2)
Suite de la chronique de « Clémence Picot » : Littérature urbaine et organique, le rapport entre corps, odeurs et objets/mobilier, un saisissant et complexe portrait de femmes, Le sommeil, cette petite mort où l’on s’évade… Une réflexion sur la notion de « vivant », Commentaires de Régis Jauffret au sujet de Clémence Picot…
Thornytorinx de Camille de Peretti : Peut-on vivre avec l’anorexie ?
Publié en octobre 2004, Thornytorinx est le premier roman de Camille de Peretti, écrit à l’âge de 24 ans, alors jeune diplômée de Khâgnes puis de l’ESSEC, se destinant à une carrière dans la finance avant de tenter l’actorat. Ce titre percutant est un néologisme et désigne une « série d’organes du système digestif qui se coordonnent pour concourir à un résultat pathologique » selon l’explication de l’auteur.
« Borderline » de Marie-Sissi Labrèche : entre Virginie Despentes et Chloé Delaume côté Québec
C’est avec « Borderline » que Marie-Sissi Labrèche (journaliste en presse féminine par ailleurs) fut remarquée en 2000. Après ce premier roman, écrit en parallèle d’une thérapie psycho-analytique, elle a ensuite enchaîné avec un deuxième (« La brèche ») qui ont tous deux été portés à l’écran début 2008 (en fusionnant leur histoire) avec entre autres Jean-Hugues Anglade au casting. Le film est sorti uniquement outre Atlantique hélas. L’auteur fait partie de ses représentants (aux côtés de Nelly Arcan, Andrée Laberge et Pauline Gélinas), ayant bénéficié d’un bon bouche à oreille dans les années 2000. Clairement assimilée au courant de l’autofiction, la jeune-femme livre un récit touchant et plutôt fascinant dans sa manière d’exorciser ses névroses et de raconter le matriarcat étouffant de son enfance…
« Jouer juste » de François Bégaudeau : Aimer comme un match de foot
« Jouer juste » premier roman de François Bégaudeau, « écrivain-ex-joueur de foot-prof et accessoirement chroniqueur ciné »…, couronné de toute part en 2005 pour son roman « Entre les murs », pourrait vous rebuter si vous êtes allergique au ballond rond et à toutes les grands messes/exhaltations qu’il engendre. On pourrait alors vous dire que ce roman vous réconcilliera avec les hommes montés sur crampons…
Derniers commentaires