Récemment, toute la presse s’est pâmée sur le récent succès de l’adaptation du Petit Prince, qui a enregistré 1,8 million d’entrées en France mais surtout 12,5 millions de spectateurs à l’étranger, montant sur la première marche du podium des plus grand succès « français » à l’international, en particulier en Chine, où il cartonne.
Ce dernier est qualifié de « film d’animation français », sauf que lorsque l’on regarde le générique, de français, il n’y a pas grand chose en fait… La version originale est d’ailleurs bien en langue anglaise.
Il est amusant de regarder la page wikipédia du film qui est qualifié de « English-language French 3D stop motion and computer-animated family drama adventure fantasy film « , en plus court et en VF, un « film d’animation français de langue anglaise« . La même dénomination avait été utilisée pour un autre gros succès « français » de l’animation jeunesse celui d' »Arthur et les Minimoys » de Luc Besson (10,3 millions de spectateurs entre 2006 et 2009).
Dans son article « Luc Besson dope les films français à l’étranger », BFMTV notait : « Il y a juste un hic: ces productions sont toutes en langue anglaise. (…) on atteint même un record historique: jamais les production françaises en langue étrangère n’avaient attiré autant de monde. En revanche, pour les films en langue française, l’année 2014 s’avère inférieure à la moyenne des dix dernières années. »
Jean-Paul Salomé, président d’Unifrance, l’organisme chargé de promouvoir le cinéma français à l’étranger commentait à ce sujet: « Il y a une perte d’attractivité des films en langue française, un lent déclin sur lequel il faut travailler » (en même temps si on préfère donner les moyens financiers aux Américains plutôt qu’à des auteurs/réalisateurs français, ça ne va pas aider…).
Cette nouvelle espèce de « faux film français en langue anglaise » est en voie d’expansion assez alarmante (cf: le dernier plus grand succès de film « français » par Luc Besson, un habitué du genre, « Lucie » qui a également suscité l’admiration (pas au niveau qualitatif mais pour ses résultats au box office, alors qu’encore une fois, mis à part les sous, le film est un produit 100% américain). Le réalisateur du Grand Bleu (elle est loin cette époque désormais !), devenu résident fiscal américain, a d’ailleurs décidé de réitérer l’expérience en adaptant la série franco-belge de BD SF culte « Valérian » (rebaptisée Valérian et Laureline) signée des scénariste Pierre Christin et dessinateur Jean-Claude Mézières, éditée par Dargaud dans les années 70, l’histoire , d’un « agent spatio-temporel » dont la mission est de voyager dans l’espace et le temps pour maintenir l’ordre terrien dans l’univers.
Ce dernier confiait d’ailleurs au Figaro ses problèmes avec les Impôts qui risquaient de ne pas lui accorder de crédit car il fait « un film français en langue anglaise » donc ni vraiment « étranger » ni vraiment « français ». Finalement Fleur Pellerin le lui a accordé pour qu’il daigne au moins tourner en France, et non en Hongrie comme il l’avait envisagé. Toujours en anglais donc.
Même triste nouvelle, pour la « série évènement » dite « française », « Versailles » qui aurait pu être un formidable tremplin pour l’audiovisuel français et qui a bien sûr été écrite et tournée intégralement en anglais. Le sujet de la série rend le procédé encore plus ironique quand on sait que c’est le roi Soleil qui avait fait de la France et du français l’influence majeure de l’Europe… Le producteur Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction sur Canal+, se justifiait au Monde : « Avant même de lancer « Versailles » s’est posé le problème de la langue. Nous avons décidé de tourner cette série en anglais pour augmenter son potentiel de ventes et qu’un distributeur mette davantage d’argent. D’où, ensuite, le choix d’auteurs britanniques… qui avaient donc une sensibilité européenne. Les Britanniques ont, en plus, l’avantage de savoir ce qu’est une monarchie. On s’est donc amusé, avec leur regard décomplexé, autour du souverain le plus connu de la monarchie française. L’enjeu était de ne surtout pas faire une série historique conventionnelle, avec la figure imposante de Louis XIV. On le voulait jeune, fragile, héros de série moderne. »
Le principe de ce nouveau « genre » ? Seul le financement (i.e la production) et éventuellement la technique sont d’origine française. Toute la partie créative et artistique est en fait confiée à des réalisateurs, scénaristes, directeurs et acteurs anglo-saxons qu’ils soient américains ou britanniques.
Par exemple pour « Le petit prince », ce sont les deux américains Mark Osbourne (remarqué pour Kung-Fu Panda en 2008) à la réalisation et Irena Brignull au scénario qui se sont chargés d’adapter et revisiter au passage le livre de Saint Exupéry, en revanche authentique livre franco-français et succès international -depuis sa sortie en 1943, plus de 150 millions d’exemplaires vendus dont 13 millions en France, traduit dans plus de 260 langues-jamais démenti (oui ça remonte un peu maintenant, mais qui sait on aura peut-être un auteur qui renouvellera l’exploit et qui ne pensera pas que pour devenir « international » il faut abandonner le français !). La production est signée « On Entertainment » (boîte française donc comme son nom ne l’indique pas).
A noter que Joan Sfar l’avait pourtant adapté en BD en 2008.
La scénariste Irena Brignull a tiré notamment son inspiration des illustrations originales réalisée également par Saint-Exupéry, comme point de départ du développement de l’intrigue : « Ces dessins ont été notre première source d’inspiration. Deux idées essentielles du livre se sont imposées à nous : la première, selon laquelle l’essentiel est invisible pour les yeux et la seconde qui consiste à être adulte sans oublier son âme d’enfant. On savait que cela pouvait être intéressant de s’attacher à un personnage et de montrer comment un livre peut avoir une incidence majeure sur un enfant. C’était notre point de départ. Dès qu’on a pu voir les dessins de nos artistes, cela nous a aidés à préciser l’intrigue« .
Là dessus, les producteurs ont expliqué que compte tenu de son histoire et de son rayonnement à travers le monde, il s’agissait de proposer un film universel (ndlr, comprenez « américain ») et non confidentiel (ndlr, comprenez « français ») afin que le long métrage parle à tout le monde. « On sentait bien qu’on avait l’obligation de ne pas faire une oeuvre confidentielle, étant donné qu’il s’agit du livre français le plus vendu au monde. Il fallait donc respecter l’universalité du roman qui a touché les gens au-delà des générations et des cultures. »
Saint Exupéry ne s’était certainement posé la question en ces termes et pourtant… Pas davantage le réalisateur français Michel Ocelot qui a cartonné avec ses longs métrage d’animation Kirikou à mini budget, Les Triplettes de Belleville de Sylvain Chomet (2003), Persepolis de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi (2007) ou encore Zarafa en 2012 qui ont remporté des succès francophones à la fois critiques et commerciaux, autant en France qu’à l’étranger.
Il est amusant dans ce contexte de lire le commentaire d’Isabelle Giordani, directrice générale d’Unifrance (l’organisme chargé de promouvoir le cinéma français à l’étranger) à l’AFP qui se garagrise de la capacité de l’hexagone de produire « les meilleurs talents d’animation au monde, à la fois en termes de formation, de sensibilité, mais aussi de savoir-faire industriel ».
Pour être plus précis, il s’agit plutôt de donner les clés aux Américains et les laisser tranquillement s’approprier notre culture, comme ils l’ont déjà fait avec la totalité du patrimoine des contes français et européens (avez-vous remarqué comme l’expression « princesse Disney » est désormais passée dans le langage ? Messieurs Perrault, Grimm et Andersen doivent se retourner dans leur tombe…).
Ils ont bien raison d’en profiter tant que les Français seront assez moutonniers et stupides pour penser qu’ils n’ont pas les talents dans leur propre pays pour le faire eux-mêmes et continuer de scier la branche sur laquelle ils sont assis.
La tendance se fait d’ailleurs de plus en plus lourde ces dernières années, y compris dans d’autres domaines culturels tels que la musique notamment où de plus en plus d’artistes français choisissent de vocaliser dans la langue de Walt Disney pour « mieux s’exporter » à l’international, une perte de terrain majeure pour le fameux « rayonnement » français dont la langue se fait année après année plus invisible que jamais.
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