Comment créer et donner vie à des personnages de roman convaincants et justes sans qu’ils ne sonnent cliché ou tout simplement faux ? C’est l’une des difficultés de l’écriture d’un roman, en particulier si vous choisissez de réprésenter des communautés que vous ne fréquentez pas ou ne connaissez pas directement. L’enquête terrain en immersion façon Zola est bien sûr idéale si vous pouvez investir le temps et les fonds nécessaires. Toutefois à l’heure d’Internet, d’autres pistes existent pour se documenter « de l’intérieur ». La jeune auteur (et dessinatrice) britannique Alice Oseman qui s’est faite remarquer avec un premier roman young adult Solitaire (que le Times a comparé à un « attrape-coeur à l’heure numérique« ) puis notamment Radio Silence partage avec les aspirants écrivains des conseils sur sa chaîne youtube fort instructive tant pour se motiver à écrire que puiser des conseils d’organisation ou de créativité. Particulièrement interessée par le thème de la diversité, elle s’attache tout particulièrement à mettre en scène des personnages dont les orientations, ethnicités ou religions sortent des normes du tout blanc/tout hétéro. Sa méthode d’observation pour éviter les impairs, préjugés ou clichés et être au plus près des réalités des profils qu’elle choisit d’incarner est, entre autres, de recourir à toutes les ressources disponibles gratuitement et à portée de clic sur la toile. Dans une vidéo intitulée « Faire des recherches pour écrire les personnages marginaux » (en VF), cette enfant du web dévoile ainsi les astuces qu’elle utilise :
Illustration : heroines homosexuelles du film La vie d’Adèle adapté du roman graphique Le bleu est une couleur chaude.
Alors qu’elle écrivait « I was born for this » mettant en scène une ado musulmane et un jeune transexuel, elle a notamment recouru à diverses pistes :
Une de ses méthodes d’investigation est de repérer sur youtube et les reseaux sociaux tels que facebook, twitter, instagram ou meme tumblr les profils correspondant à l’identité des personnages que l’on cherche à développer et de les suivre assidument.
Ce réservoir naturel d’information vous fournira une multitude de renseignements sur les préoccupations, les problématiques, les habitudes et les modes de pensée -même si chacun(e) possède bien évidemment sa propre singularité et ne saurait se réduire à son genre/orientation ou origine-. Cette observation dans l’ombre évite aussi de devoir poser de multiples questions chronophages à une personne en particulier, sans compter qu’elles peuvent être gênantes et qu’accéder à un partage personnel spontané sur le web vous offre aussi une richesse que vous n’auriez pas forcément eue par un autre moyen plus artificiel ou formel.
Le second conseil qu’elle prodigue est de lire les récits/témoignages des profils visés, des autofictions basées sur l’expérience personnelle des auteurs et non des pures fictions d’imagination, toujours dans l’optique d’accéder à des informations vues et ressenties de l’intérieur. La lecture ou le visionnage respectivement d’essais ou de documentaires pouvant evidemment s’avérer aussi fructueux. On pourra rajouter bien sûr la lecture de blogs ou de journaux/lettres, tout matériau brut de vécu étant une source intéressante pour la construction de personnages crédibles et justes. On pourra ainsi donner l’exemple de David Diop qui pour son premier roman Frère d’âme, a imaginé la vie d’un tirailleur sénégalais en lisant la correspondance de poilus durant la 1e guerre mondiale. De son côté l’auteur américain de roman jeunesse à succès, John Green, explique qu’il a rencontré beaucoup d’interlocuteurs concernés directement ou indirectement (parents, famille et enfants et oncologistes) par le cancer ainsi que lu beaucoup de manuels et mémoires sur le sujet. Toutefois son heroine est grandement inspirée d’une jeune lectrice, souffrant de la maladie, qu’il l’avait beaucoup ému tant par son courage que sa personnalité pétillante et qui était d’ailleurs youtubeuse également.
Enfin, un contact direct avec de vrais interlocuteurs reste indispensable avertit-elle et pour sa part elle a lancé un appel à temoignage à son réseau pour des questions spécifiques sur leur vie quotidienne. Les échanges se sont faits par e-mail.
Il est important de ne pa se fier uniquement à ses propres opinions ou conclusions quand on aborde un terrain inconnu ou peu familier, selon elle.
Ces méthodes présentent aussi l’avantage de ne pas trop puiser dans son entourage plus ou moins proche comme source d’inspiration, ce qui peut attirer pas mal d’ennuis comme l’a montrée l’actualité récente qui a vu se multiplier les procés des « modèles » ayant servi de matière littéraire à leur insu. Quand ils n’ont pas été jusqu’à être plagiés, cf. Eric Reinhardt n’ayant pas pu résister à la tentation de copier des extraits d emails et du manuscrit qu’une de ses admiratrices lui avait envoyé… (l’affaire s’étant soldée par une transaction, évitant à Reinhardt une procédure).
Enfin elle évoque le recours à un service d’origine américaine de lecteurs dits sensibles (« sensitivity readers »), ce qui à ma connaissance n’existe pas (encore !) en France, mais qui s’avère très intéressant pour l’auteur soucieux d’avoir un avis non seulement de lecteur mais d’une personne directement représentée dans son livre. L’objectif étant de s’assurer que le livre ne comporte pas d’élément blessant pour le profil représenté.
Concernant la représentation d’un personnage issu d’une minorité, Oseman, étrangement, déconseille d’aborder des thématiques directement liées à leur identité comme la décision de porter le voile par exemple. Ce qui pourra quelque peu surprendre en particulier quand on pense à des chef d’oeuvres où les auteurs n’ont pas hésité à se glisser dans la peau de personnages d’un autre sexe ou d’un autre milieu social par exemple… Même si l’exercice s’avère en effet plus périlleux, il semble un peu radical de l’interdire d’un seul bloc… Sa recommandation s’inscrit probablement dans le sillage du mouvement #Ownvoices qu’elle cite qui correspond à une revendication d’origine américaine que seuls les auteurs issus des minorités concernés puissent écrire sur leur expérience au lieu d’auteurs hommes et blancs qui se l’approprient et les spolient en quelque sorte de leur identité. A titre personnel, Oseman se défend ainsi de ce méfait en précisant que son ouvrage traite avant tout du thème plus général de la confiance en soi.
Elle prône en conclusion de mener le plus de recherches possibles tout en restant sur son propre chemin ou sillon.
Et vous quelles sont vos techniques pour vous renseigner sur vos personnages et leurs milieux ?
Menez-vous une petite enquête sur le web ou ailleurs ou préférez-vous faire uniquement confiance à votre imagination ? 🙂
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Créer des personnages de roman crédibles, diversité et recherche sur Internet
Comment créer et donner vie à des personnages de roman convaincants et justes sans qu’ils ne sonnent cliché ou tout simplement faux ? C’est l’une des difficultés de l’écriture d’un roman, en particulier si vous choisissez de réprésenter des communautés que vous ne fréquentez pas ou ne connaissez pas directement. L’enquête terrain en immersion façon Zola est bien sûr idéale si vous pouvez investir le temps et les fonds nécessaires. Toutefois à l’heure d’Internet, d’autres pistes existent pour se documenter « de l’intérieur ». La jeune auteur (et dessinatrice) britannique Alice Oseman qui s’est faite remarquer avec un premier roman young adult Solitaire (que le Times a comparé à un « attrape-coeur à l’heure numérique« ) puis notamment Radio Silence partage avec les aspirants écrivains des conseils sur sa chaîne youtube fort instructive tant pour se motiver à écrire que puiser des conseils d’organisation ou de créativité. Particulièrement interessée par le thème de la diversité, elle s’attache tout particulièrement à mettre en scène des personnages dont les orientations, ethnicités ou religions sortent des normes du tout blanc/tout hétéro. Sa méthode d’observation pour éviter les impairs, préjugés ou clichés et être au plus près des réalités des profils qu’elle choisit d’incarner est, entre autres, de recourir à toutes les ressources disponibles gratuitement et à portée de clic sur la toile. Dans une vidéo intitulée « Faire des recherches pour écrire les personnages marginaux » (en VF), cette enfant du web dévoile ainsi les astuces qu’elle utilise :
Illustration : heroines homosexuelles du film La vie d’Adèle adapté du roman graphique Le bleu est une couleur chaude.
Alors qu’elle écrivait « I was born for this » mettant en scène une ado musulmane et un jeune transexuel, elle a notamment recouru à diverses pistes :
Une de ses méthodes d’investigation est de repérer sur youtube et les reseaux sociaux tels que facebook, twitter, instagram ou meme tumblr les profils correspondant à l’identité des personnages que l’on cherche à développer et de les suivre assidument.
Ce réservoir naturel d’information vous fournira une multitude de renseignements sur les préoccupations, les problématiques, les habitudes et les modes de pensée -même si chacun(e) possède bien évidemment sa propre singularité et ne saurait se réduire à son genre/orientation ou origine-. Cette observation dans l’ombre évite aussi de devoir poser de multiples questions chronophages à une personne en particulier, sans compter qu’elles peuvent être gênantes et qu’accéder à un partage personnel spontané sur le web vous offre aussi une richesse que vous n’auriez pas forcément eue par un autre moyen plus artificiel ou formel.
Le second conseil qu’elle prodigue est de lire les récits/témoignages des profils visés, des autofictions basées sur l’expérience personnelle des auteurs et non des pures fictions d’imagination, toujours dans l’optique d’accéder à des informations vues et ressenties de l’intérieur. La lecture ou le visionnage respectivement d’essais ou de documentaires pouvant evidemment s’avérer aussi fructueux. On pourra rajouter bien sûr la lecture de blogs ou de journaux/lettres, tout matériau brut de vécu étant une source intéressante pour la construction de personnages crédibles et justes. On pourra ainsi donner l’exemple de David Diop qui pour son premier roman Frère d’âme, a imaginé la vie d’un tirailleur sénégalais en lisant la correspondance de poilus durant la 1e guerre mondiale. De son côté l’auteur américain de roman jeunesse à succès, John Green, explique qu’il a rencontré beaucoup d’interlocuteurs concernés directement ou indirectement (parents, famille et enfants et oncologistes) par le cancer ainsi que lu beaucoup de manuels et mémoires sur le sujet. Toutefois son heroine est grandement inspirée d’une jeune lectrice, souffrant de la maladie, qu’il l’avait beaucoup ému tant par son courage que sa personnalité pétillante et qui était d’ailleurs youtubeuse également.
Enfin, un contact direct avec de vrais interlocuteurs reste indispensable avertit-elle et pour sa part elle a lancé un appel à temoignage à son réseau pour des questions spécifiques sur leur vie quotidienne. Les échanges se sont faits par e-mail.
Il est important de ne pa se fier uniquement à ses propres opinions ou conclusions quand on aborde un terrain inconnu ou peu familier, selon elle.
Ces méthodes présentent aussi l’avantage de ne pas trop puiser dans son entourage plus ou moins proche comme source d’inspiration, ce qui peut attirer pas mal d’ennuis comme l’a montrée l’actualité récente qui a vu se multiplier les procés des « modèles » ayant servi de matière littéraire à leur insu. Quand ils n’ont pas été jusqu’à être plagiés, cf. Eric Reinhardt n’ayant pas pu résister à la tentation de copier des extraits d emails et du manuscrit qu’une de ses admiratrices lui avait envoyé… (l’affaire s’étant soldée par une transaction, évitant à Reinhardt une procédure).
Enfin elle évoque le recours à un service d’origine américaine de lecteurs dits sensibles (« sensitivity readers »), ce qui à ma connaissance n’existe pas (encore !) en France, mais qui s’avère très intéressant pour l’auteur soucieux d’avoir un avis non seulement de lecteur mais d’une personne directement représentée dans son livre. L’objectif étant de s’assurer que le livre ne comporte pas d’élément blessant pour le profil représenté.
Concernant la représentation d’un personnage issu d’une minorité, Oseman, étrangement, déconseille d’aborder des thématiques directement liées à leur identité comme la décision de porter le voile par exemple. Ce qui pourra quelque peu surprendre en particulier quand on pense à des chef d’oeuvres où les auteurs n’ont pas hésité à se glisser dans la peau de personnages d’un autre sexe ou d’un autre milieu social par exemple… Même si l’exercice s’avère en effet plus périlleux, il semble un peu radical de l’interdire d’un seul bloc… Sa recommandation s’inscrit probablement dans le sillage du mouvement #Ownvoices qu’elle cite qui correspond à une revendication d’origine américaine que seuls les auteurs issus des minorités concernés puissent écrire sur leur expérience au lieu d’auteurs hommes et blancs qui se l’approprient et les spolient en quelque sorte de leur identité. A titre personnel, Oseman se défend ainsi de ce méfait en précisant que son ouvrage traite avant tout du thème plus général de la confiance en soi.
Elle prône en conclusion de mener le plus de recherches possibles tout en restant sur son propre chemin ou sillon.
Et vous quelles sont vos techniques pour vous renseigner sur vos personnages et leurs milieux ?
Menez-vous une petite enquête sur le web ou ailleurs ou préférez-vous faire uniquement confiance à votre imagination ? 🙂