Un peu de soleil dans l’eau froide est le 8e roman de Françoise Sagan publié en 1969, à l’âge de 34 ans et adapté au ciné en 1971 par J.Deray sur un scénario de Sagan. Elle reprend ici la tradition de ses jolis titres inspirés de vers de poésie (ici Paul Eluard) qui illustre parfaitement bien le propos ( de « subir sa douleur ») du roman qui aborde notamment le sujet de la dépression. Une maladie que Sagan, qui s’est toujours définie comme quelqu’un de « gaie », n’expérimentait pas elle-même au moment de l’écriture a priori, même si elle avait traversé en 1957 l’épreuve d’un accident de voiture l’ayant laissé dépendante d’un dérivé de morphine (ce qu’elle raconte dans son journal publié sous le titre de « Toxique
»). Son personnage principal est d’ailleurs un homme. Dans une interview de l’époque à Jacques Chancel (Radioscopie), elle explique simplement au sujet d’Un peu de soleil dans l’eau froide qu’elle a « voulu raconter l’histoire d’un homme qui est malheureux et qui tombe sur une femme qui l’aide à vivre, lui redonne le goût de vivre, et que lui-même finit par empêcher de vivre, en la faisant se détacher d’elle-même, de lui-même, de leur amour. », en prolongement de ses romans précédents qui aiment à explorer les failles des passions amoureuses, mais surtout les solitudes (comme elle le déclarait elle-même) et comment celles-ci s’assemblent parfois pour mieux se déchirer ensuite… :
Portrait d’un anti-héros désenchanté
Depuis la « génération perdue » et les modernistes, les anti-héros abondent dans la littérature post guerres mondiales, victime d’un monde absurde, de L’étranger de camus, 1942, au mal-être existentiel dépeint par Sartre. L’anti-héros de Françoise Sagan (Gilles, beau journaliste parisien trentenaire) vit lui dans le Paris, plutôt aisé et prospère de la fin des années 60, période des 30 glorieuses, mais aussi celle de la guerre froide et de la guerre d’Algérie qui s’achève en 62 et contre laquelle Sagan a milité (aucune référence directe à aucun événement historique toutefois, Sagan ne cherchant pas à faire de « commentaire politique » sur son époque pour se concentrer plutôt sur l’analyse psychologique, ce que la critique – en général masculine – reproche -stupidement- aux romans dits « de femme »).
Malgré tout on s’amusera du fait que son personnage est « rédacteur politique », à la « rubrique des affaires étrangères » mais ne semble malgré tout pas très concerné, voire pas du tout, par ce qui se passe dans le monde (il n’en discute jamais, ne lit jamais la presse, de façon générale c’est un personnage assez superficiel et autocentré, assez tête à claque disons-le, un peu dans le genre de Bel-ami sur ce plan là). Toutefois il faut probablement interpréter son désintérêt pour les affaires, comme un rejet de l’ambition professionnelle, un thème cher à Sagan que l’on retrouve de livre en livre, notamment dans son précédent La Chamade. Elle décrit ainsi : « Le monde était plein d’événements sanglants absurdes qui éveillaient chez ses confrères une horreur satisfaite qui l’exaspérait. »
A ce titre, on pourra plus facilement le voir comme précurseur des héros trentenaires désenchantés qui ont fleuri au début des années 2000 (de Beigbeder -grand amateur de Sagan d’ailleurs- à Nicolas Rey, Florian Zeller ou encore Nicolas Fargues). D’autant qu’il partage leur côté volage, instable et leur goût de la nuit. Un homme désabusé, désenchanté dit-on de nos jours, pas vraiment ce « mal du siècle », cette mélancolie, ce spleen baudelairien romantique noble mais plus simplement un manque d’envie soudain généralisé hormis celle de se terrer sous ses draps et de ne plus rien faire.
Ce qui désarçonne le plus notre homme est qu’il ne s’explique pas cet abattement soudain, qui n’a pas de cause apparente. En effet sur le papier, il a tout pour être heureux comme il l’auto-analyse lui-même (« bon physique, métier amusant, succès de toute espèce »).
Insouciant, volage et noceur, il est en couple sans conviction avec une mannequin, Eloïse, pour laquelle il n’éprouve qu’un vague attrait physique, et ne supporte pas son côté « vraie petite femme ». Pourtant des failles apparaissent, comme tout héros saganesque, Gilles ne sent pas vraiment à sa place dans son univers professionnel et partage sa sourde hostilité pour « l’ambition » comme dit plus haut.
On retrouve ainsi, ici et là le discours habituel des écrivains contre l’ambition professionnelle, vue comme « sale » : « Il lui semblait qu’il passerait sa vie ainsi à traîner au soleil, à faire l’amour avec Nathalie l’après-midi et à rêvasser le soir. L’idée que dans deux mois il serait rédacteur politique, débordé, aussi avare de son temps qu’il en était à présent prodigue, et que ce même temps il le passerait dans ce tourbillon gris qu’était Paris, lui semblait proprement absurde. »
Il préfère au travail les plaisirs de l’existence, en particulier les verres de whisky avec sa bande d’alcooliques mondains dans les clubs de la capitale, autre motif saganesque récurrent.
L’auteur brosse avec une certaine justesse un portrait masculin d’un trentenaire enfant gâté détaché, désenchanté, « dépressif » donc. Sorte de Don Draper d’avant l’heure, les enfants et la double identité en moins ! (on notera au passage l’absence d’enfants dans tous les couples mis en scène).
La dépression : une maladie « incolore » qui créée le malaise
« Je n’ai plus envie de rien, c’est tout. C’est une maladie à la mode, non?
« Je n’ai pas envie d’exister. Tu connais des vitamines pour ça ? »
Premier constat : le mot clinique de « dépression », encore tabou ?, est généralement évité (hormis p.34 par Eloïse qui l’ose, Gilda, p.42 et le médecin), les personnages lui préfèrent des substitutifs moins dramatiques comme : « mes petits problèmes » de « ça ne va pas », la perte « d’envie », de « vivre mal », de « mal de vivre », de « misère mentale », de « cafard », « ne pas tourner rond ».
Sa sœur : « Bien sûr, elle avait entendu parler de ces « dépressions nerveuses » dans les journaux mais cela lui paraissait plus près d’un caprice que d’une maladie. »
En effet, ce sont dans les années 50/60 que les anti-dépresseurs sont apparus et que le vocable médical « dépression » s’est généralisé (d’après J.Bernat, ce serait même en 1967, en France, sous l’influence d’Henri Ey, auteur d’« États dépressifs et crises de mélancolie »).
Sagan tente de saisir les contours de cette maladie pernicieuse, « incolore » et « innommable », qui soudainement vous assaille, sans que l’on ne sache parfois bien pourquoi… Elle dépeint l’angoisse, la solitude, le sentiment de chute, d’humiliation et de colère qui l’accompagnent :
« la vie se retirait de lui comme la mer brusquement recule et délaisse un rocher trop longtemps caressé. »
Mais aussi le sentiment d’étrangeté à soi-même éprouvé : « Et il pensait à ce je avec un mélange d’espoir et de crainte comme à un étranger doué de la possibilité d’agir à sa place. »
Mais aussi d’injustice :
« Mais qu’est-ce qui lui arrivait à la fin ? De quoi le punissait-on ? Et qui ? (…) Pourquoi recevait-il sa vie à la tête, à 35 ans, comme un boomerang empoisonné ? »
et surtout de totale impuissance, ce qui l’effraie le plus :
« Qui est plus seul qu’un homme qui a pris le parti de la gaîté, du bonheur, d’un cynisme affectueux – et qui l’a pris, en plus naturellement, par instinct – et à qui tout échappe d’un coup, à Paris, en l’an de grâce 1967 ? »
Sagan saisit avec acuité tous ces sentiments variés qui s’emparent de lui tour à tour, à mesure qu’il s’enlise dans cet état. Elle restitue aussi l’incommunicabilité qui peu à peu s’instaure entre Gilles et son entourage déstabilisé qui ne sait plus que lui dire et comment, alors que toutes leurs tentatives se heurtent à un mur. A l’instar de Jean, son ancien meilleur ami qui tente de le requinquer mais ne récolte que son exaspération. Et quand il parvient à le faire se confier, il finit « plus choqué par ces détails de misère mentale (…) que par des détails obscènes »
Sagan montre ainsi le regard social désapprobateur sur ce type de maladie encore taboue, en particulier chez un homme (car pas « virile ») :
« Un honnête homme n’a pas le droit d’être mal dans sa peau » ou « on finira par empoisonner les gens tristes un jour »
Comme toujours ses dialogues sont taillés au cordeau où la moindre nuance de ton, tension psychologique et gestuelle, tout aussi significative, les rendent plus vrais que nature et particulièrement vivants.
Elle dit aussi sa quête du « remède » impossible ou à défaut les tentatives d’y échapper, de s’échapper de soi-même, d’éradiquer cette chose qui sape toute énergie, libido, envie de toute nature et vous réduit à l’état de légume végétatif sans que pourtant vous ne présentiez de quelconques désordres physiques. Comme il le lance à une cocotte chez qui il tente de prendre « du bon temps » :
« Non, je n’ai pas de cancer. Je n’ai rien. J’ai le cafard ! »
Le « rien » est pourtant bien là…
Chacun tente de minimiser en invoquant telles vitamines ou « petits cachets » qui pourront vaincre son mal. Et même Gilles finira par tenter de s’en convaincre : « Et s’il y avait une petite pilule quelque part qui guérisse du mal de vivre ? (…) Et s’ il lui manquait seulement un peu de calcium ou de fer ou de Dieu sait quoi pour être heureux ? »
La scène chez le docteur est à ce titre particulièrement réussie alors que ce dernier lui annonce en toute franchise qu’il n’existe pas de traitement miracle pour le remettre sur pied.
Devant son insistance le médecin finira par lui faire une ordonnance pour « rassurer sa femme ».
Gilles note d’ailleurs, avec cynisme, notre faiblesse à vouloir penser qu’il y a « toujours quelque chose à faire » : « Tout le monde croit qu’il y a des choses à faire dans chaque occasion de la vie. Si in rit trop, on vous gifle, si on pleure trop on vous endort, ou alors on vous envoie aux Bahamas. »
Sagan évoque aussi la tentative du suicide qui l’effleure aussi rappelle que cette dernière demande aussi une certaine énergie dont il se sent incapable : « Il n’y avait rien en lui à ce moment-là, personne qui fut capable de saisir un revolver et de s’en tirer un coup dans la bouche ou de projeter son corps dans la Seine vert sombre, en bas. Il ne pouvait pas plus imaginer sa mort que sa vie et cela le laissait simplement là, respirant, existant, souffrant. »
La nature peut-elle guérir du mal de vivre ?
La province vs. Paris
Alors que son comportement se met à déraper de plus en plus, et que sa vie lui échappe, il décide de se mettre en « pause » en partant « au vert » chez sa sœur, véritable mère poule pour son cadet.
Sagan souligne ainsi son attachement au giron familial : « sa sœur, quelqu’un de son sang, avec laquelle les relations allaient de soi ».
Et c’est donc à Limoge dans le Limousin (et non en Normandie, repaire de l’écrivain !) que notre parisien tente de guérir ses états d’âme et « de se mettre à l’abri de lui-même ».
L’occasion pour Sagan de sortir un peu de son petit cadre parisien habituel même si on reste dans le milieu bourgeois des notables de la région et des réceptions dans leurs salons de velours bleu-gris et autres garden-parties, et de livrer une peinture mi- satirique, mi-cliché de la province, de sa famille un peu beauf, en particulier son beau-frère un peu lourdaut aux piètres talents de pêcheur
Le parisien snob se dit ainsi « amusé par cette petite comédie de province» (p. 86) et dresse un parallèle entre la vie dorée parisienne plus « folle » et celle plus « sage » de province, comme à l’occasion de sa réflexion sur la maison de François Sylvener : « il y avait (…) quelque chose qui respirait l’argent. (…) tout cela évoquait une opulence provinciale et bien orchestrée. Et Gilles, qui en tant que journaliste et parisien, avait assisté à des fêtes plus somptueuses et plus folles, souvent données par des fêtards ruinés par ailleurs, se sentait un peu supérieur. Il n’aimait l’argent que gâché. »
On sent ici en filigrane la propre conception « artistique » et « désintéressée » de Sagan du luxe et de l’argent, à la Gatsby, loin des comptes d’apothicaire ou de la « sécurité » que son personnage méprise.
Cela n’empêche pas de moquer tout autant le snobisme pseudo-intellectuel des bourgeois parisiens qui « pérorent sur les intentions de l’auteur » avec suffisance et une « fausse désinvolture », à l’entracte d’une pièce de théâtre.
Il n’empêche que Gilles espère, comme tous, que ce « retour à la nature » sera le remède à ses maux des citadins stressés comme le prônait Oscar Wilde avec sagesse : » Seuls les sens peuvent guérir l’âme, tout comme l’âme seule peut guérir les sens ».
Mais « respirer l’odeur de la terre » et s’allonger dans la prairie, ne font pas immédiatement effet…
Sagan décrit son processus de reprise de goût à la vie progressif, si ce n’est de guérison à proprement parler, ses pas en avant et en arrière, l’ennui et en même temps une certaine sérénité qui s’installe : « Elle lui parlait de choses qui, elle le sentait confusément, ne l’intéressaient pas mais le calmaient, par leur pérennité même : les saisons, les récoltes, les voisins. »
Même si, sa volonté de mieux-être se heurte encore à son esprit rétif, comme elle l’exprime à travers cette belle métaphore : « La vie est là, simple et tranquille. Quel dommage qu’il ne puisse se rallier plus de quelques minutes à ces clichés et qu’aussitôt la vie, son obsession ne le rattrapent comme une meute acharnée qui n’a laissé souffler le cerf, trois minutes, que pour prolonger la chasse. »
Sagan définit aussi le bonheur comme une sorte de « vide intérieur », le cerveau au repos : « il ne pensait à rien et il savait confusément que cette absence de pensées s’appelait le bonheur. »
L’amour, remède et poison
Au delà des pâturages, c’est surtout la rencontre avec la belle et mystérieuse Nathalie, surnommée « la reine de la ville », une belle rousse aux yeux verts, femme d’un magistrat de province, qui sera déterminante pour le remettre sur pied. Toutefois, un roman de Françoise Sagan n’en serait pas un sans la tragédie amoureuse qui guette toujours, et où l’amour heureux ne dure qu’un temps éphémère… Loin des classiques jeux de séductions, leur rencontre se passe presque de mots et très vite Nathalie s’offre à lui, à son étonnement mais aussi satisfaction : « Mais enfin le jeu ne se jouait pas comme ça, on ne se remettait pas, avec tous ses vaisseaux, entre les mains d’un inconnu ! »
Elle se donne et s’abandonne à lui, irrésistiblement, comme envoûtée, même s’ils ont à peine échangé : « Je crois qu’il y a beaucoup de choses que je vais accepter de toi »
Sagan ne détaille pas davantage ses pensées ou sa situation, et cultive l’ambiguité psychologique de son personnage : « C’était une forte femme, ou plutôt une femme dont les faiblesses avaient une telle force qu’elle les sentait irrésistibles. »
Son mariage s’apparente au classique ennui bovaryien de la femme bourgeoise (mal) mariée en province même si Sagan parvient à éviter plus ou moins cet écueil : « J’ai une vie très protégée, très douce, et très ennuyeuse », confie-t-elle à son amant. Plus loin, il la définit comme : « une vie simple et compliquée à la fois : simple parce qu’elle n’avait rien que de très ordinaire, compliquée parce que Nathalie avait parfois une façon de se taire ou de prononcer un adjectif, ou même de remplacer une proposition par une autre, qui rendait cette vie quiète, et somme toute heureuse, presque déchirante. » Une relation qui se place donc dés le début sous le sceau de la fatalité : « plus un choix qui se faisait mais une fatalité qui s’accomplissait. » ou encore « une femme qui a lu est moins inquiétante, elle sait vaguement ce qui l’attend – ou ce qui attend l’autre. » Sagan insiste d’ailleurs peut-être un peu trop lourdement sur ces signes annonciateurs du drame à venir.
Une relation très physique avant tout, les deux personnages semblant raviver, à leurs contacts respectifs leurs libidos en berne. Les amants se testent, se découvrent mais il y a toujours une sorte de violence sourde, une tension érotique et agressive, sous-tendant leurs échanges alternant avec leur complicité. On sent une fébrilité dangereuse dans la passion éprouvée par Nathalie, à travers son inquiétude très précoce de rendre Gilles « heureux », et plus de légèreté dans l’attachement néanmoins réel, mais pas aussi intense de Gilles, personnage moins entier, moins « absolu » (ce qu’il finira par lui reprocher d’ailleurs). On retrouve ainsi, sous une autre forme, cette asymétrie amoureuse entre Lucile et Charles. Mais l’on comprend assez vite que c’est Nathalie qui aura plus à perdre dans cette histoire.
Tout comme Lucile, Nathalie Sylvener va abandonner la sécurité et la tranquillité de son foyer provincial pour une vie plus risquée auprès de Gilles, peut-être amant plus « excitant » que son « honnête » magistrat de mari François, mais aussi homme égoïste, instable, peu mature ou équipé pour rendre une femme heureuse…
Au passage Sagan livre de nouvelles réflexions sur les sentiments, les relations et le bonheur amoureux, ses thèmes phares comme par exemple : « Peut-être que l’amour pouvait se résumer ainsi parfois : l’envie de ne rien raconter qu’à une seule personne. »
Après le temps des amours insouciantes à la campagne, hors du temps, le couple doit affronter « la réalité », même si on s’étonnera que l’adultère de Nathalie ne fasse pas plus de vagues dans son entourage et en particulier auprès de la sœur du héros…
C’est à Paris que le couple apprendra alors à mieux se connaître et à découvrir leurs divergences, en particulier entre une Nathalie plus cultivée, intellectuelle et un Gilles noceur et superficiel.
(qui la surnomme son « bas bleu »). Derrière les taquineries se glissent un voile de rancune, de détresse fugace, de « petit sourire méchant ». Sagan capte la mésentente latente et les tentatives de réconciliation et tisse progressivement, comme elle en a le secret, le processus de démolition de cette relation jusqu’au point où ils seront séparés par « quelque chose de fêlé entre eux ».
Malgré l’adaptation de la première à sa vie parisienne et à la bande de Gilles, « ses pairs, les noctambules, les dégénérés, les bons à rien », ce dernier développera au fil du temps une sorte de rancœur et de jalousie alors qu’il se sent dominé même si l’esprit de Nathalie le séduit aussi : « Il n’avait jamais vraiment ri de lui-même avec une femme ; il ne s’était livré à cette délicieuse occupation qu’avec Jean ou des hommes, par un faux principe viril. Et la possibilité de quitter enfin cette vanité-là l’attachait plus à elle qui ne le savait lui-même. »
Sagan montre ici les paradoxes de la psyché masculine, en particulier dans le contexte de l’époque où une femme se devait toujours de rester discrète et soumise (malgré l’oeuvre de Beauvoir, sa contemporaine!).
La liberté de ton de Nathalie dénote ainsi parmi les autres épouses qui jugent ses « discours » et ses « répliques inconvenants » car « les femmes devaient écouter et se taire », un sentiment parfois partagés par leurs conjoints. Gilles l’explique : « depuis 15 ans, ils parlaient ensemble par-dessus la tête de jeunes femmes soumises et désirables ».
Une de ses corrections, vue comme une « leçon de culture » du patron de Gilles lui attirera plus particulièrement les foudres de Gilles qui craint pour sa place et maudit sa trop grande liberté d’expression et son entièreté: « Pourquoi ne jouait-elle pas le jeu après tout Elle savait bien que les choses sont ce qu’elles sont et qu’il y a des cas où il faut plaire, s’étouffer, quitte à rire après de sa propre lâcheté ? On ne pouvait pas jouer la franchise à Paris, en l’an 1967, dans ce métier. »
Cela séduit Gilles d’une certaine façon mais finira par l’irriter se sentant inférioriser comme dit plus haut. Il regrette ainsi de n’avoir jamais « le beau rôle » et qu’elle soit « fondamentalement plus forte que lui. »
Ce sentiment ira croissant jusqu’à la fin alors qu’il lui en veut pour ce qu’il ressent comme une « domination » et donc une atteinte à sa virilité : « c’était elle qui depuis le début de leur liaison avait pris toutes les initiatives. »
Il finit donc par lui reprocher ce qui l’a attiré initialement et ce qui l’a aidé aussi comme il le reconnaît : « Tout ce que j’aimais en elle, qui me soutenait, son absolutisme, son côté linéaire, son intégrité totale… Tout s’est retourné contre elle. »
Ainsi donc au delà de l’histoire d’une passion tragique, Sagan questionne en filigrane (et probablement non intentionnellement) les rôles de chaque sexe et leur place dans la société à son époque, dévoilant leurs paradoxes et l’ambivalence voire le malaise masculin face aux femmes qui s’affirment un peu trop, mais aussi l’égoïsme masculin…[Alexandra Galakof]
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