Dans une interview de mars 2016, Alain Mabanckou livre une intéressante analyse de l’évolution dans les années 90 puis 2000 de la littérature dite de la « négritude » alors que les écrivains émigrent en Europe et posent alors un regard nouveau sur l’Afrique et la société française, lié à l’éloignement, mais refuse d’y voir une volonté de cantonnement mais au contraire d’élargissement:
« Dans les années 1990, cette littérature décortique l’immigration, la condition de l’immigré, sa douleur, ses rencontres ; elle aspire en fait à s’émanciper du poids du passé colonial et des problématiques « Blancs-Noirs », trop attendues lorsqu’un Africain prend la plume.
Depuis les années 2000, des écrivains tentent des aventures littéraires personnelles, parfois très intimes. Je pense à l’écrivain franco-camerounais Gaston-Paul Effa, avec des livres comme Tout ce bleu [Grasset, 1996] et Mâ [Grasset, 1998], ou au Passage des larmes [Lattès, 2009], du Franco-Djiboutien Abdourahman Waberi, qui évoque Djibouti et l’exil. L’écrivain africain utilise désormais la première personne du singulier, il écrit « je ». La littérature d’avant, c’était beaucoup « nous », le peuple. Or le « nous » est une soustraction du « je ». Maintenant, l’écrivain africain voit s’ouvrir les possibilités de traiter tous les sujets, quitte à bousculer les instincts grégaires. (extrait interview Le Monde, mars 2016)
A noter l’analyse similaire que faisait Romuald Fonkoua, rédacteur en chef de la revue Présence Africaine et Professeur de littérature à l’Université Paris-Sorbonne
Depuis les années 2000, j’ai l’impression que nous assistons à un changement majeur dans la production littéraire francophone, où les interrogations sont tournées davantage vers l’auteur lui-même et ses propres abîmes. L’urgence sociale n’est plus fondatrice de la littérature, c’est la question du « moi » qui l’est de plus en plus. Les Antillais ont été pionniers de cette nouvelle sensibilité qui a libéré les imaginaires des contingences politiques ou sociales. L’écrivain le plus emblématique de cette modernité littéraire est sans doute le Martiniquais Edouard Glissant dont l’œuvre n’est pas prisonnière du binôme conflictuel monde occidental/monde non-occidental et puise son miel ailleurs, notamment dans la pensée philosophique (extrait interview RFI juillet 2016).
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