L’écrivain Camille Laurens livre une analyse intéressante du rôle joué par les nouvelles technologies dans la création littéraire et le travail du romancier 2.0, dans une chronique pour la presse. Elle, qui n’hésite pas à placer la toile et les réseaux sociaux, au cœur de ses romans, depuis quelques années (à commencer par le réussi « Romance nerveuse » (2010) et plus récemment avec « Celle que vous croyez » (2016), compare notamment son impact avec les inventions des siècles précédents, comme le téléphone, sur l’écriture, de Proust à Cocteau…:
Son discours fait ainsi écho à plusieurs autres auteurs* qui se sont aussi exprimés sur le sujet qui attise passions et contradictions… Un intéressant article du Guardian**, paru en 2011, intitulé « How novels came to terms with the internet ? » (« Comment le roman en est venu à parler de l’internet ») signé Laura Miller, analysait aussi la place qu’occupe Internet dans les romans d’aujourd’hui et la façon dont les écrivains modernes se l’approprient dans leurs fictions (voir ci-dessous).
Internet est peut-être après tout devenu ce « miroir » humain qui se promène sur une grande route dont parlait Stendhal…
« Le virtuel est un outil très romanesque, comme a pu l’être le téléphone au début du XXe siècle: quand le narrateur de Marcel Proust tremble que les « Demoiselles du téléphone » n’interrompent son « téléphonage » ou quand Jean Cocteau, dans La Voix humaine, crée une tension dramatique extraordinaire avec son « Ne coupez pas! », c’est toute la dépendance de la relation amoureuse aux moyens de communication de l’époque qui fait irruption. Pourquoi en irait-il autrement dans notre siècle hyperconnecté?«
(Source: http://www.lexpress.fr/styles/psycho/camille-laurens-analyse-les-sites-de-rencontre_1762349.html)
* De Frédéric Beigbeder à Luis de Miranda, Nicolas fargues, Jonathan Safran Foer, en passant par la génération Y avec Ariel Kenig et Solange Bied Charreton qui avaient réagi au sujet en interview ou dans leurs livres.
** D’après la journaliste, les romanciers américains pratiquaient plutôt jusqu’alors la stratégie de l’évitement, tiraillé entre la nécessité de rendre compte du réel d’une part et l’envie de s’affranchir du « vulgaire » de l’époque de l’autre.
Elle livrait un intéressant comparatif avec la télévision (on se souvient des personnages de Carver, au chomage affalés devant la TV… ou les ados d’Ellis dans « Moins que zéro » devant MTV) : « Internet a changé notre vie d’une manière infiniment plus profonde que la télévision, mais la plupart des romanciers – et j’entends par là ceux qui font une littérature réaliste, avec des intrigues et des personnages -ont scrupuleusement évité d’en faire un sujet espérant peut-être que, comme la télévision, on pouvait faire comme si ça n’existait pas. Ils ont laissé le champ aux auteurs d’anticipation, comme William Gibson ou Cory Doctorow , ou aux auteurs de romans policiers. Certes, il y a toute une flopée de romans gadget – comme des romans à l’eau de rose écrits entièrement en mail ou en texto -, mais les descriptions un peu sérieuses de la manière dont la technologie s’inscrit dans la vie des gens sont très rares« .
Elle constate aussi que la situation commence à changer en citant plusieurs romans récents (David Foster Wallace dans The Pale King, son roman posthume, Jonathan Lethem et son Chronic City qui vient de paraître chez L’Olivier, The Financial Lives of the Poets de Jess Walter (La vie financière des poètes qui devrait paraître en avril chez Rivages), Glover’s Mistake de Nick Laird, Freedom, le dernier Jonathan Franzen, Super Sad True Love Story de Gary Shteyngart et A Visit from the Goon Squad de Jennifer Egan).
Côté romans, on pourra aussi citer « Richard Yates » de Tao Lin ou plus anciennement le livre ayant inspiré David Fincher pour son film sur Facebook, La revanche d’un solitaire, docufiction qui explore Internet de l’intérieur à travers la naissance de l’une de ses plus célèbres applications.
En version française? Quelques auteurs tels que Michel Houellebecq, Frédéric Beigbeder, Nicolas Fargues ou Virginie Despentes ont mis en scène Internet, ses réseaux sociaux et autres smartphones, en soulignant plutôt leurs effets pervers. Chloé Delaume avait, elle, consacré un roman à la virtualité avec Corpus Simsi il y a quelques années tandis qu’une jeune auteur Emilie Stone avait tenté un exercice décalé autour du journal intime d’un ordinateur (« Pomme Q »). Citons aussi Fake de Giulio Minghini sur le piège virtuel des sites de rencontres (sans doute le plus réussi sur le sujet). Récemment, Titiou Lecoq (« Les morues »), Pierre Noircler (« D’autres prendont nos places ») , sont des jeunes auteurs qui l’intègrent de façon plus naturelle.
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