Bonne nouvelle pour les scénaristes français : les séries françaises, grâce à des scénarios plus qualitatifs, reprennent de la vigueur et remportent plus d’un tiers des meilleures audiences de 2016, devant les séries américaines.
Parmi les fictions TV plébiscitées par le public, on trouve notamment les aventures de « Sam », les enquêtes d’Alice Nevers et la série policière « Profilage » (diffusée dans 13 pays dont l’Allemagne, la Belgique, le Brésil…), suivies par environ 6 millions de téléspectateurs selon l’enquête du site Puremedias.
2016 marque ainsi un revirement inédit : les séries françaises (à la TV) supplantent désormais les séries américaines qui ont même quasiment déserté cette année le top 100 des meilleures audiences, hormis deux épisodes de « Person of Interest » en fin du classement. Des résultats qui tranchent avec 2015 où les séries étrangères pesaient encore pour près des trois quart de ce palmarès annuel avec en tête d’affiche « Mentalist », « Dr House » et les « Experts ». Les séries françaises occupent désormais 38 places dans le top 100, soit cinq de plus qu’en 2015.
C’est TF1 qui empoche le gros de la mise grâce à une stratégie judicieuse de « réduction de sa dépendance aux séries américaines » avec la programmation des séries « Le secret d’Elise », « Sam », « La vengeance aux yeux clairs » ou encore « Section de recherches »… Le polar continuant de garantir des cartons.
Au Mipcom de Cannes 2016, le salon des programmes audivisuels, les séries françaises séduisaient aussi plus que jamais. Les séries « Engrenages » (Canal +), « Un village français » (France 3), et « Dix pour cent » (France 2) se sont largement exportées à l’étranger. La série « Les témoins » de France 2 avec Thierry Lhermitte ayant pour cadre les falaises du Tréport s’est, elle, vendue dans 50 pays (notamment acquise par Channel 4 outre-Manche sous le titre « Witnesses ») ! Elle est signée Hervé Hadmar et Marc Herpoux, deux scénaristes qui font souffler sur la série française un vent d’innovation depuis quelques années avec des créations comme « Les oubliées » (2008), « Pigalle, la nuit » (2009) ou encore « Signature (2011) aux atmosphères prenantes et à l’esthétique léchée. Fin 2016, ils reviennent avec un nouveau projet « Au-delà des murs », une minisérie fantastique ayant le mérite d’être originale (repérée par les Américains notamment AMC, qui la diffusera sur son service de streaming), qui a malheureusement été piratée au grand dam des créateurs.
« Il y a quelques années, on s’arrachait les séries anglo-saxonnes, puis les séries scandinaves et israéliennes. Maintenant, c’est au tour des séries françaises d’être à la mode. Nos productions passionnent les étrangers », commentait Fabrice Larue, directeur de Newen, producteur de la fameuse série « Versailles » (scénarisée et tournée en langue anglaise toutefois), diffusée dans près de 135 pays (source: Le Parisien, oct. 2016).
Les recettes représentées par l’exportation des séries françaises ont doublé en trois ans passant de 20 M€ en 2011 à 41,2 M€ en 2015. Les zones les plus clientes de la fiction française sont l’Europe de l’Ouest (+3,3%) avec une hausse de +70,7% en Espagne et +19,3% au Royaume-Uni. L’Afrique (+13,7%) et le Moyen-Orient (+6,5%) complètent ce paysage des ventes des programmes français à l’étranger (source: CNC). La percée est plus difficile en Amérique latine, en Turquie ou en Russie.
Les raisons du succès des séries françaises ?
Comment expliquer ces bons résultats soudains ? Les séries américaines correspondraient-elles vraiment moins au goût du public français comme certains l’ont avancé ou est-ce plutôt un effet secondaire du piratage qui rend disponible désormais les séries US sur la toile avant même leur diffusion sur le petit écran ?
La qualité des séries françaises se serait en tous les cas accrue, mais on pourra déplorer qu’elles laissent peu de place à des créations réellement originales puisqu’on trouve beaucoup de remakes ou d’adaptations de formats étrangers anglo-saxons comme la mini-série fantastique « Le secret d’Elise » (adaptée de la série britannique Marchlands elle-même basée sur un pilote américain de la Fox non abouti « The Oaks »), l’histoire de trois familles, vivant dans la même maison à trois époques différentes (de 1969 à nos jours), qui se retrouvent liées par un même mystère, ou danois comme l’histoire de « Sam » (inspiré de « Rita » et incarnée par Mathilde Seigner), mère célibataire et prof de français iconoclaste au collège qui jongle avec les différents aléas de sa vie entre autres le retour de sa mère, après vingt ans d’absence ou de son amour de jeunesse. Cela fait suite à « Disparue » et « Malaterra », deux autres remakes de formats étrangers.
Faire rayonner la culture et le patrimoine français à travers les histoires
Les scénaristes français apportent malgré tout leur « patte » comme dans le Secret d’Elise (signé d’Elsa Marpeau auteur de plusieurs romans, dont « Les yeux des morts », prix du roman noir BibliObs/Nouvel Obs en 2011, en collaboration avec Marie Deshaires et Catherine Touzet) où elles ont rajouté le triangle amoureux entre Catherine, Yanis et Remi.
De son côté Fabrice Larue explique ce regain d’intérêt par la mise en avant du patrimoine, de l’histoire et du savoir-faire français qu’il s’agisse de « Versailles, Le Tréport ou les exploitations viticoles du Sang de la vigne« , le tout aidé par l’essor de plates-formes comme Netflix et une optimisation de la production visant à lancer une saison par an au lieu de tous les 3 ans.
Interrogé par le site Behindzescenes (2014), Herpoux livrait son analyse de l’écriture de séries française en la comparant aux anglo-saxons et aux pays nordiques: « Notre réalité est souvent édulcorée. Nos problèmes sociaux survolés.(…) La Grande-Bretagne et les pays nordiques parviennent à produire des séries ancrées dans leur réalité, en étant éducatives tout en évitant le ton paternaliste. C’est ce que nous avons modestement essayé de faire (…). Faire un thriller ou du polar, tout en ancrant ça dans la réalité d’une région, ou la mythologie d’un quartier célèbre. » Et ne surtout pas tenter de faire de la sous-mythologie américaine, une tentation trop souvent française: « les Français ont un problème avec le fait de parler de leur culture, de mettre en avant les spécificités de notre société« , déplore-t-il. Il s’inquiétait aussi à juste titre de la vogue des séries « françaises » écrites et tournées en langue anglaise: et qui « représentent le risque pour la France de devenir le fournisseur en séries des États-Unis, leur usine en quelque sorte » estime-t-il. Et déplore aussi les remakes (voir ci-dessous) dont il ne voit pas l’intérêt artistiquement parlant. « Cela me fait penser à la culture des yéyés, à l’époque où les chanteurs français reprenaient en français les tubes américains ou britanniques« , s’amuse-t-il. Même approche de son complice Hadmar qui insistait auprès de Télérama en 2009 la nécessité « d’ancrer les séries françaises dans leur contexte géographique, social et politique« .
La tendance n’est toutefois pas franco-française et les Américains n’hésitent pas à piocher chez leurs confrères: Ugly Betty, Shameless, Les Mystères de Laura, ou Jane the Virgin, ont toutes été adaptées de formats étrangers. Sans oublier The Returned, adaptation de la série de Canal + Les Revenants lancée en mars 2015 sur A&E, mais annulée faute d’audience. Il a même été chuchoté que Modern Family serait inspiré de sa consoeur française Fais pas ci, fais pas ça sur le mode documentaire (filiation sujette à controverse).
Du côté des valeurs sûres de la chaîne de Paolini, la série « Clem » (inspirée elle du film « Juno » mais aussi des succès de Lol ou plus ancien de la Boum), autour d’une ado devenue mère, reste la sixième série la plus suivie, devançant « Profilage », en dépit d’une baisse d’un million de fidèles en un an.
Face à ces bons scores, France Télévisions suit le mouvement et décide de miser aussi sur la création française avec un engagements annuel d’investissement porté à 420 millions. A cette occasion, sa présidente Delphine Ernotte a souligné la nécessité de « produire plus pour rayonner plus« . La France accuse en effet aujourd’hui une déficience de création avec seulement 650 heures de fiction produites chaque année contre par exemple l’Allemagne qui en cumule près de 2.000. Et pour se distinguer, le groupe souhaite offrir « une diversité dans les formes narratives, dans les sujets et les époques traités« , tout en valorisant « le point de vue français, et la manière française de raconter des histoires » (source: Puremedias.com).
Fort de sa série à succès marseillaise « Plus belle la vie », la chaîne publique prépare le relais avec une nouvelle série cette fois tournée à Montpellier, produite par MFP, la filiale de production du groupe, prévue pour 2018. France TV projette aussi de financer chaque année au moins une coproduction internationale d’origine française, afin d’accélérer les exportations de séries.
Enfin, le web n’est pas oublié et une enveloppe de 300 000 euros à un fonds de soutien de la SACD, la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques a été accordé pour aider à « l’écriture de séries courtes, feuilletonnantes, prioritairement imaginées pour une pratique en mobilité« .
En effet, il faut aussi noter le dynamisme des web-séries (aussi appelés « contenus mobiles ») en France qui s’affiche comme le 2e producteur au monde derrière les Etats-Unis, depuis le début des années 90 et explore de nouveaux modes de narration. Avec un catalogue de plus 300 titres, elles connaissent de beaux succès aussi comme Le Visiteur du futur, Flander’s Company, Noob (d’origine Toulonaise qui en 2014 remporte l’Award International aux Streamy Awards de Los Angeles, a atteint sa 7e saison, avec plus de 65 millions de visionnages, des déclinaisons en BD, romans et films !) ou Hello Geekette. Dernièrement la web-série « Gabriel » a remporté la Coupe du monde des webséries, soit l’une des plus primées au monde, et après avoir été auto produite, sa deuxième saison sera diffusée sur Canal Play. Un guide vient même de leur être consacré par le spécialiste français du sujet (qui tient aussi le site https://webseriesmag.tv), Joël Bassaget : « Le guide des webséries – La nouvelle vague » – Éditions Over the Pop (sorti en déc. 2016).
D’après Bassaget, les web-séries sont une sorte de « contre-télévision » où certains genres quasi absents de la TV y sont sur-représentés comme la science fiction, l’horreur, l’anticipation, et même le steam punk. Ainsi le terreau premier d’inspiration puise dans la culture geek (mangas, jeux vidéos), ce qui explique que beaucoup des premières webséries faisaient partie de conventions.
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