Les gens du Balto de Faïza Guène

Les Gens du Balto, nouveau roman de Faïza Guène confirme son véritable talent d’écrivain. Avec ses deux ouvrages précédents, Du rêve pour les oufs et Kiffe kiffe demain, l’auteur de Bobigny, de parents originaires d’Algérie, a imposé sur la scène littéraire française une voix originale, revigorante, et délestée de toutes les contraintes formelles qui ont depuis longtemps commencé à faire bâiller tout le monde. Loin de la chronique de banlieue ou du témoignage social auxquels on a souvent associé à ses écrits, Les Gens du Balto se révèle être un texte truffé d’humour et de suspense, à mi-chemin entre un polar déjanté et un hommage à la France semi-profonde.

Situé au terminus d’un RER, la ville-cadre du roman porte un nom éloquent – Joigny-les-deux-bouts, et telle qu’elle nous est décrite, évoque bien davantage nos campagnes oubliées que nos cités parfois surmédiatisées. Joël Morvier, le patron du bar-tabac Le Balto, vient d’être retrouvé poignardé. Ce qui n’est pas vraiment une tragédie pour son entourage, étant donné les tares que le Joël en question accumulait : assurément raciste, définitivement avare, un peu concupiscent sur les bords, à en juger par la façon dont il reluque quelques clientes. Chauve aussi, comme son fantôme, dont la voix ouvre le roman, le précise : « par nostalgie, je garde les cheveux longs malgré le terrain vague sur le dessus ». Comme le lecteur, les enquêteurs ne tarderont pas à se rendre compte que la plupart des habitués du Balto avaient de bonnes raisons de tuer ce désagréable bonhomme : tour à tour, ils défilent et donnent leurs versions des faits : l’une s’est faite pelotée, un autre insulté, un autre volé…

Polyphonie

Avec une remarquable justesse et beaucoup d’humour, Faïza Guène se glisse dans la peau de chacun de ses personnages, et peaufine un langage chacun d’entre eux. Pour Tanièl, « dit Tani, Quetur ou bon à rien », le jeune frimeur. Pour Magalie, « dite la blonde, la traînée ou la meuf de Quetur », qui parle comme elle écrit des sms, et ponctue ses phrases de « Lol » ou de mots en anglais pour faire plus branchée (plus tasse-pé ?) : « sur mon MSN j’ai cent quatre-vingt-sept amis. Dès qu’il y en a un qui me saoule, je le supprime et j’en add un autre. » Pour Yeznig, le frère de Tanièl « dit Bébé ou le gros ou l’handicapé » qui confond tous les temps, futur, passé et présent. On entendra aussi les voix de deux jumeaux marseillais, Nadia et Ali Chacal, de la mère de Tanièl, désespérée car confrontée à un licenciement, et celle son mari apathique, drogué aux jeux de grattage et à la soupe télévisée, comme Julie Lescaut, « Alliances et trahisons » ou Melrose Place.

Une polyphonie qui donne quasiment vie au roman, tant l’écrivain sait bien incarner les habitants de cette ville délaissée, dont le nom montre aussi qu’on en fait vite le tour. Tanièl explique ainsi : « Si on est allé au Balto, c’est pas pour l’ambiance, c’est clair qu’on aurait préféré les Champs-Elysées. Mais c’est tellement relou de sortir d’ici que du coup, on essaie même plus ». Le texte use à merveilles de ce genre de clichés pour mieux les tourner en dérision, singeant aussi bien les tics des jeunes ados que ceux du présentateur des infos de « France Bleu Île-de-France ». Le roman sonde et fait état d’une poignée de gens, de tranches de vie, que l’on découvre avec la même jubilation que des numéros de l’émission Striptease.

Faïza Guène livre ainsi une composition légère, sans fausse note, et qui, jusque dans son dénouement absurde, ne cessera finalement de réhabiliter les « petites gens ». Sa démarche, l’attention portée à la langue, et la tendresse avec laquelle elle donne vie à ses personnages, tout cela pourrait bien faire d’elle une digne petite héritière de Raymond Queneau.

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