Comment est né Germinal (1885), un des romans les plus emblématiques et célèbres d’Emile Zola, 13e opus sur 20 de son cycle des Rougon-Macquard ? Entre recherche documentaire, miroir de son époque et reconstitution imaginaire voire fantastique : voici en prémabule, les coulisses de cette épopée socio-politique et humaine fascinante et foisonnante que Zola façonna en moins d’un an (écrit entre le 2 avril 1884 et le 23 janvier 1885). Germinal est dans un premier temps publié en feuilleton dans le quotidien le Gil Blas, du 26 novembre 1884 au 25 février 1885. Il paraît ensuite en librairie le 21 mars 1885 :
Germinal : Un roman ouvrier
Après le succès de l’Assommoir (1877), qui met en scène le couple maudit d’un ouvrier et d’une blanchisseuse que l’alcool et la misère finiront par ravager, Zola envisage d’écrire un second roman ouvrier plus principalement axé sur la lutte sociale : « Ce n’est qu’au moment de l’Assommoir que, ne pouvant mettre dans ce livre l’étude du rôle politique et surtout social de l’ouvrier, je pris la résolution de réserver cette matière pour en faire un autre roman » (lettre à Van Santen Kolff, le 6 octobre 1889).
Karl Marx fait paraître Le Capital en 1867 au moment où Zola publiait son premier roman Thérèse Raquin. Le mouvement ouvrier, réprimé après la Commune reprend son essor après la chute de Mac-Mahon et l’instauration définitive de la république. En 1881, sont votées les lois sur la liberté de réunion et la liberté de la presse. Les syndicats s’organisent et les mouvements socialistes se développent. Zola suit de près cette évolution et l’on retrouvera dans Germinal, incarnées dans les personnages, les grandes tendances du socialisme de l’époque.
Germinal : roman de la condition minière
Le charbon, à l’époque de Zola, est la source d’énergie essentielle (énergie fossile). Les bassins houillers font l’objet d’une exploitation acharnée, et pour accroître les rendements, les ouvriers sont soumis, dans des conditions inhumaines, à un rythme de travail épuisant.
Crise économique et chômage
Par ailleurs les crises économiques qui affectent la France dans les années 1870 ne font qu’aggraver une situation déjà précaire : la misère des mineurs se fait pressante, les salaires sont au plus bas, le chômage sévit. Des grèves éclatent donc en pays minier au Nord de la France : en 1878 à Anzin, en 1880 à Denain, en 1882 à Montceau-les-Mines, en 1884 à nouveau à Anzin.
Germinal est planté au coeur de la révolution industrielle de la seconde moitié du XIXe siècle français. L’artisanat fait place à la grande industrie et contre la bourgeoise triomphante, contre l’hégémonie des puissances d’argent s’affirme l’idéologie socialiste.
On y trouve, incarnées par les principaux personnages, diverses tendances du mouvement socialiste de l’époque : le collectivisme, le possibilisme, le socialisme chrétien, l’anarchisme.
– Le collectivisme, qui adopte des idées de Karl Marx, prône la révolution et le renversement de la classe bourgeoise : il est incarné par Etienne.
– Le réformisme ou possibilisme, souhaite que soient mises en place un certain nombre de réformes possibles, sans acte révolutionnaire : il est soutenu par Rasseneur.
– Le socialisme chrétien cherche à concilier christianisme et socialisme en partant du principe que « Dieu est du côté des pauvres » (p 431). Il est défendu par l’abbé Ranvier.
– Le quatrième courant est l’anarchisme, issu de l’anarchisme russe ou nihilisme. Il a été porté à l’attention du public de l’époque par la vague d’attentats qui ont eu lieu dans les années 1878-81 contre le tsar de Russie Alexandre II qui périt assassiné. Ce système se propose de détruire toutes les structures sociales, sans chercher à reconstruire quoi que ce soit. Il est incarné par le personnage Souvarine.
La mine : une « mine » d’inspiration pour les auteurs du XIXe siècle…
La mine est devenu un thème littéraire populaire et a déjà inspiré plusieurs romanciers avant que Zola ne s’en empare : Hector Malot, dans Sans famille (1878), évoque une catastrophe minière ; Paul Hauzy dans ses nouvelles, Un coin de la vie de misère (1878), raconte les amours d’un jeune mineur amoureux d’une cribleuse, Catherine ; Maurice Taylmer, auteur de Grisou (1880) met en scène une grève ; Yves Guyot, ami de Zola, auteur de Scènes de l’Enfer social (1882), présente la misère des mineurs et leur révolte. Zola imagine le parti qu’il pourrait lui-même tirer d’un roman sur le pays noir : la mine lui offrirait un cadre romanesque pittoresque et symbolique, prétexte à l’évocation de scènes dramatiques et au développement de ses thèmes de prédilection.
Tel était le projet de Zola, projet qui se concrétisa à la suite de 2 évènements : sa rencontre avec Alfred Giard et la grève d’Anzin.
Les mines du Nord en grève
Durant l’été 1883, il rencontre en effet le député socialiste de Valenciennes, Alfred Giard, qui évoque avec lui les problèmes de la région et qui le pousse à écrire un roman sur la mine. Peu après, en février 1884, une grève importante éclate à Anzin. Zola est décidé : il situera son roman dans un bassin minier du Nord de la France.
La méthode de travail de Zola
Zola nous a laissé ses documents de travail fort précis pour l’élaboration et la préparation de son roman : le « dossier Germinal ». Il comporte 962 feuillets constitués de notes de lecture, d’informations diverses sur la mine. Dans ce dossier figure également ce que Zola appelle « l’Ebauche » : jour après jour, il y définit ses intentions, arrête le sujet et les péripéties de l’intrigue, note les épisodes auxquels il songe, fixe le nombre des personnages, esquisse leurs caractères, et parfois remet tout en question.
A l’aide de ces informations, on peut définir la méthode de travail de Zola et tenter de retrouver sa démarche créatrice. Le romancier naturaliste assigne au roman un rôle documentaire : Zola s’appuiera donc sur une abondante documentation. Les documents amassés nourrissent l’imaginaire de l’écrivain et le processus de création romanesque se met en route.
La documentation de Zola pour l’écriture de Germinal
Sources livresques
Zola a lu de nombreux livres ayant trait à la géographie et à la géologie du bassin minier, à la condition sociale et au mode de vie des ouvriers, à l’économie politique et au problème des crises, enfin au socialisme et au syndicalisme entre 1860 et 1880.
Zola s’est essentiellement servi de 4 ouvrages :
– La Vie souterraine (1867) de Louis-Laurent Simonin est un ouvrage surtout technique, mais jalonné de détails pris sur le vif : travail des petites files, susperstitions des minueurs, remontée du charbon dans les hottes sur d’interminables échelles en Ecosse au XVIIIe siècle, récits d’accidents ; même, une gravure sur bois représente la descente d’un cheval dans un puits (chevaux qu’on retrouve donc dans Germinal dont Zola s’attache à décrire la souffrance peut-être encore plus terrible que celle des hommes car ils ne remontent jamais à la lumière et sont condamnés aux ténèbres souterraines jusqu’à leur mort).
– Le Bassin houiller de Valenciennes par Dormoy – autre ingénieur- contient une étude de la disposition des couches de terrain et des veines de charbon, et traite des nappes d’eau souterraines. En plus des précisions techniques, l’ouvrage explique le mode de calcul des salaires et rappelle l’histoire de la Compagnie des mines d’Anzin.
– Guyot, l’auteur de l’Enfer social, écrit aussi en 1881 un ouvrage d’économie politique : La Science économique. Il y analyse le mécanisme des échanges, les rythmes de la production et de la consommation. Il explique l’origine des crises non par une surproduction mais par l’immobilisation des capitaux dans des investissements qui ne sont pas une source immédiate de biens de consommation (chemins de fer, ports, canaux…) : c’est précisément la thèse de Deneulin dans Germinal (II, 1, p.129 ; IV, 1, p. 257-58).
– Enfin, Zola a beaucoup retenu de l’ouvrage d’un médecin belge, H. Boens-Boisseau : Maladies, accidents et difformités des houilleurs.
En plus de ces 4 ouvrages, Zola consulte, entre autres, la Gazette des Tribunaux où il trouve publiés des récits de grèves dans les comptes-rendus d’audience des procès intentés aux responsables syndicaux.
L’enquête sur le terrain
Une grève importante éclate à Anzin le 19 février 1884 : douze mille mineurs cessent le travail. Elle durera jusqu’au 17 avril. Zola se rend sur place. Il descend dans les galeries et les puits, il visite les habitations des mineurs, observe leurs mœurs. Il s’imprègne de tout ce qu’il voit, emmagasine des sensations et prend de nombreuses notes qu’il consigne dans un dossier intitulé : « Mes notes sur Anzin ».
La démarche créative
Zola ne livre pas les documents qu’il a amassés à l’état brut. Il opère un choix en fonction de son projet romanesque, ne retenant les précisions techniques, les théories économiques, les idées socialistes que dans la mesure où elles peuvent être utilisées dans son roman.
Il adapte les informations recueillies afin de mieux les insérer dans la trame narrative ; on trouve ainsi quelques inexactitudes dans le roman. Par exemple, la Première Internationale, créée effectivement en 1864, ne compte en 1866 que 500 adhérents ; le nihilisme qui se manifeste en Russie dés 1860 n’a pas en France, en 1866, l’importance que lui accorde Zola.
Enfin, il cherche à obtenir un effet dramatique. Il saisit, dans un renseignement, les virtualités romanesques : ainsi, de la géographie, il retient l’existence d’eaux souterraines pour parler « d’immenses nappes d’eau », de « mers insondables », de « vagues profondes et obscures battant les parois de la veine… » ; il suggère une menace diluvienne, l’action d’une force cosmique.
Les documents viennent souvent après coup authentifier une image, une idée ; ils donnent corps à la rêverie, ils alimentent l’imagination créatrice. « Il y a deux choses dans une œuvre telle que je la comprends, écrit Zola dans Le Matin du 7 mars 1885 : il y a les documents et la création. » Zola fait avant tout œuvre de romancier ; sous une apparente objectivité, il impose sa propre vision des choses.
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