Kamel Daoud, l’auteur algérien encensé de Meursault contre enquête, revisitant le monument littéraire de L’étranger de Camus du point de vue du controversé de « l’Arabe », couronné de prix dont le prix Goncourt du premier roman en 2015, exprime dans plusieurs interviews son rapport à la langue française : ce qu’elle représente pour lui, entre langue de la colonisation et langue de liberté.
La langue française n’est pas la langue maternelle de Kamel Daoud ni une langue apprise à l’école. Il raconte être un autodidacte : »Enfant, j’avais découvert un lot de romans policiers, mais je ne comprenais pas tout ; chaque mot éclairant le suivant de son sens, j’ai fini par apprendre par recoupement. Par la suite, le français n’est jamais devenu, pour moi, une langue d’autorité, alors que, pour les générations précédentes, elle était la langue de la domination. Au contraire, l’arabe représentait l’autorité et le français représentait la digression, la dissidence. »
Il ajoute : « C’est une langue quasi autobiographique. Le français était devenu depuis l’âge de 9 ans la langue de l’imaginaire, la langue de la clandestinité, de la culpabilité, la langue du corps. La langue cachée, la langue de l’ombre et la langue de l’évasion par rapport à la langue enseignée à l’école qui était une langue de coercition, une langue de devoir à faire, une langue de loi, une langue de morale. »
Concernant ses lectures dans la langue de Molière, il confie relire tous les deux ans les Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar, pour la condition de « l’homme sans Dieu » qui l’intéresse. Et tous les quatre ans Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier, « bouleversant sur l’altérité, la sexualité« .
Il ne se sent pas « enfant de la guerre d’Algérie » : « C’est une histoire finie, je ne veux ni la porter ni la subir. Pour moi, la langue française est beaucoup plus un bien vacant, un bien sans maître. Je me la suis appropriée, mais ni par violence ni par la guerre. J’ai un rapport pacifié au français. Je suis un enfant de l’indépendance. »
Il n’en reste pas moins que ce choix de l’écriture en français reste conflictuel et chargé d’une lourde symbolique polémique comme il le regrette :
« Les langues, j’en ai plusieurs, je les ai trouvées, enrichies, je les vis. J’ai choisi d’écrire en français car j’en avais envie. En Algérie, le français est une maîtresse linguistique : tout le monde couche avec mais personne ne veut s’afficher… »
Il explique ainsi la défense de la langue arabe en Algérie en opposition au français : « L’arabe a été prise en otage par les conservateurs et les extrémistes qui se l’approprient en disant qu’elle est sacrée. Il y a un appauvrissement de cette langue. Mes romans sont écrits en français mais ils sortent en même temps dans le Maghreb, ils sont traduits et il y a un effet retour important. Cela fait du bruit : il y a ceux qui me soutiennent, qui me rejettent, qui m’embrassent, qui m’insultent. »
En tous les cas, il réfute l’idée qu’une langue soit supérieure ou meilleure qu’une autre, ce qui serait une idée raciste. Chaque langue ayant ses spécificités et imaginaire : « Une langue a une histoire, des traits de caractère, appartenant à des gens qui écrivent, qui réfléchissent et qui l’enrichissent par la suite. Des langues peuvent exprimer davantage : l’arabe, par exemple, peut servir beaucoup plus quand on évoque la mythologie de la dignité la nostalgie ou de l’exaltation. D’autres langues, comme le français, sont traversées par l’obsession de la liberté. »
Sources : extraits interview Le Point, France culture, La nouvelle république, Libération, Tel quel.
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