Récemment, un nouveau compte Instagram voyait le jour pour célébrer des lecteurs anonymes plongés dans leurs bouquins dans le métro New yorkais. Il y aurait semble-t-il une fascination littéraire pour l’inconnu(e)-jeune le plus souvent- lisant dans les moyens de transport en commun, et plus traditionnellement lectrice (l’équivalent de la passante dans la rue qui alimente autant de fantasmes littéraires !). En particulier si cette dernière lit un des ouvrages de l’auteur narcissique par définition. Même si rien ne se passe nécessairement comme prévu…
C’est cette rencontre transurbaine que décrivent avec pittoresque et humour deux mythiques auteurs anglo-saxons : le londonien Jonathan Coe dans sa satire socio-politique britannique « Testament à l’anglaise » et le New-Yorkais Paul Auster dans « Cité de verre ». Extraits :
Extrait de « Testament à l’anglaise »de Jonathan Coe, la lectrice dans le train :
« Le train avait déjà pris de la vitesse lorsque je levai les yeux pour découvrir qu’il s’agissait de la brune que j’avais remarquée dans le métro. Mais l’inévitable frisson d’excitation ne dura qu’un bref instant. Il fut bientôt submergé par quelque chose de bien plus puissant : une extraordinaire vague d’émotion, mélange de ravissement, de confusion et, d’abord, d’incrédulité obstinée. Car comment se pouvait-il qu’elle lût non plus son journal mais un mince volume avec ma photographie en couverture ?
C’est, je suppose le rêve de tout écrivain. Et comme il se réalise très rarement même dans la vie des célébrités littéraires, il est facile d’imaginer à quel point sa concrétisation pouvait paraître miraculeuse à un jeune auteur inconnu comme moi, avide de trouver des preuves de la pénétration de son œuvre dans la conscience du public. Les brefs articles respectueux que j’avais obtenus dans les journaux et les revues littéraires – que dans certains cas, j’avais presque appris par cœur- pâlissaient jusqu’à l’insignifiance face à l’idée soudaine que le vaste monde pouvait cacher quelque chose d’insoupçonné, de vivant et d’arbitraire : un lectorat.
(…) Je décidai d’agir subtilement. Il ne convenait pas de mettre les pieds dans le plat, de m’asseoir en face d’elle pour dire quelque chose de stupide comme « je vois que vous êtes en train de lire un de mes livres » ou « j’aime les femmes qui ont bon goût en littérature ». (…) Je m’aperçus qu’elle en était environ à la page 50, à peu près au quart du livre : elle tomberait bientôt sur la scène la plus désopilante de tout le roman (c’était du moins ainsi que j’avais tâché de l’écrire). Je m’enfonçais dans mon siège et l’épiai discrètement du coin de l’œil (…). Elle parcourut 10 ou 12 pages en autant de minutes sans la moindre manifestation d’hilarité : pas même l’ombre d’un sourire, encore moins les accès de fou-rire que j’avais naïvement penser provoquer chez le lecteur avec ce passage. Que diable se passait-il avec elle ? »
« et je maudis une fois de plus le mauvais sort qui avait fait de moi un homme d’imagination, et non d’action : condamné comme Orphée, à errer dans le monde souterrain des fantasmes alors que mon héros Iouri n’avait pas hésité à s’envoler parmi les étoiles. »
Extrait de « Cité de verre » (Trilogie New Yorkaise), Quinn dans le métro :
« Il se passa ensuite quelque chose d’étrange.
Quinn déplaça son attention vers la jeune femme à sa droite, cherchant à savoir s’il y avait quelque chose à lire de ce côté. Selon les estimations de Quinn, elle était âgée d’une vingtaine d’années. Sur la joue gauche, elle avait plusieurs boutons masqués par une tartine de maquillage rosâtre et on entendait un chewing-gum claquer dans sa bouche. Elle lisait pourtant un livre, une édition de poche à la couverture agressivement vulgaire, et Quinn se pencha imperceptiblement à droite pour en apercevoir le titre. Contre toute attente, c’était un livre qu’il avait écrit lui-même, Passe suicidaire, de William Wilson, le premier des romans avec Max Work. Quinn s’était souvent représenté cette situation : le plaisir soudain, inattendu, de tomber sur un de ses lecteurs. Il avait même imaginé la conversation qui s’ensuivrait : lui délicieusement embarrassé pendant que l’étranger faisait l’éloge du livre, puis, avec beaucoup de résistance et de modestie, acceptant (« puisque vous y tenez ») s’inscrire une dédicace sur la page du titre. Mais maintenant que la scène avait lieu, il se sentait très déçu, voire irrité. La jeune fille assise à côté de lui, ne lui plaisait pas, et il était offensé de la voir parcourir avec désinvolture ces pages qui lui avaient demandé tant d’efforts. Il se retint pour ne pas lui arracher le livre des mains et s’enfuir dans la gare avec.
Il regarda une fois de plus le visage de la jeune fille, essayant d’entendre les mots qui résonnaient dans sa tête, observant ses yeux qui sillonnaient la page de gauche à droite et de droite à gauche.
Il devait sans doute avoir regardé avec un peu trop d’insistance, car quelques secondes plus tard elle se tourna vers lui, l’air irrité, et lui demanda :
– Vous avez un problème ?
Quinn sourit faiblement :
-Non, pas de problème, je me demandais seulement si ce livre vous plaisait.
La fille haussa les épaules.
– j’en ai lu des meilleurs, j’en ai lu des pires.
(…) »
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