Dans son ouvrage « les Fiancées du diable » qui explore les représentations féminines « terrifiantes » à travers les mythes, les religions et les oeuvres d’art (peintures notamment), au chapitre « Sorcières et ensorceleuses », Camille Laurens livre son analyse d’un épisode de Contes de la Folie ordinaire de Charles Bukowski qui fait écho à ce thème et à celui de la femme fatale qui a toujours hanté l’imaginaire des écrivains:
« La littérature se nourrit de ces représentations inquiétantes que véhiculent depuis des siècles mythes, contes et religions. Plus près de nous encore, Sarah, la femme que veut épouser Henry dans l’un des Contes de la Folie ordinaire de Charles Bukowski, effraie tous les hommes, qui tentent de dissuader l’amoureux:
« – C’est une soricère, mon vieux. Une vraie. Pas touche.
– Les sorcières n’existent pas Harry. c’est prouvé. Toutes les femmes qu’on a brûlées dans le temps, c’était une horrible erreur.
Il n’y a pas de sorcières.
– On a peut-être brûlé un paquet d’innocentes, je n’en sais rien. Mais cette salope est une sorcière, crois-moi. »
Le prétendant fait fi des racontars et se marie.
Trois mois plus tard, il commence à rétrécir.
Bientôt il ne mesure plus que 60 centimètres – « mon toutou à moi », minaude Sarah, qui lui achète une laisse en argent. Elle s’amuse de lui, l’oblige à danser -danse, mon minou ». Il ne peut plus aller travailler, ne peut même plus ouvrir une porte.
« L’amour aussi, c’était terminé. Tout avait fondu en proportion. Je lui montais encore dessus, mais au bout d’un moment elle m’enlevait et se mettait à rire. « – Tu essaies encore, vilain canard ! – Je ne suis pas un canard, je suis un homme ! » proteste en vain le pauvre Henry, décidément voué aux noms d’animaux.
S’il revendique son humanité confisquée et sa virilité mise à mal, cette dernière va lui être restituée d’une manière…inhumaine.
En effet sa sorcière d’épouse le réduit à la taille de 20 centimètres et il plonge dans le cauchemar: « L’horreur est arrivée, la pire des horreurs.
Sarah m’a soulevé et m’a posé entre ses cuisses à peine écartées. Je me suis retrouvé nez à nez avec une forêt. »
Transformé en godemiché, réduit à un « joujou, un gadget sexuel », Henry n’aura pas d’autre solution, lors du repos post-orgasmique de la sorcière au prix d’un immense effort, que de lui transpercer le cœur avec une épingle à chapeau, comme on faisait autrefois pour exorciser les possédés.
La parabole de ce conte lie étroitement le diable, le sexe et la mort. L’homme bukowskien réussit à échapper à la furie libidinale de la démone. Mais pour un Henry, combien de personnages littéraires, combien d’hommes tout simplement, pris dans la frénésie du désir et du sexe, se trouvent entièrement détruits par une femme qu’ils peuvent à juste titre dire fatale ? »
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