Alors que « L’étranger » d’Albert Camus, particulièrement vénéré outre Atlantique et Manche, fait l’objet d’une nouvelle version aux éditions « Penguin Classics, à l’occasion des 100 ans de la naissance de l’auteur, sa traductrice anglaise Sandra Smith également enseignante-chercheuse à l’Université de Cambridge, explique sa passion pour l’auteur de « The Outsider » (en version anglo-saxonne) et sa vision de ce chef d’oeuvre intemporel :
« Idole de jeunesse » qu’elle a ensuite enseigné pendant de nombreuses années l’oeuvre, l’idée d’une nouvelle traduction lui est venue car elle estimait que les traductions précédentes n’étaient pas assez fidèles à certains aspects majeurs du livre.
A la question du Guardian, sur les raisons du succès inaltéré de Camus, elle estime que l’auteur avait l’art de mêler parfaitement talent littéraire et idées philosophiques : « Alors que je traduisais le livre, j’ai pu apprécier d’autant plus son langage simple à l’extrême mais riche en symbolisme et renfermant une complexité philosophique. Les gens peuvent s’identifier à son œuvres à de multiples niveaux. »
Elle plébiscite aussi son « amour pour la vie » en dépit de l’absurde et du négatif caractéristiques de son univers. « Il était un optimiste contrairement à Sartre qui était tellement pessimiste ! »
Elle cite aussi, au passage, un autre livre de Camus moins connu intitulé « Lettres à un ami allemand » qui est aussi selon elle une brillante association d’histoire, de sociologie, de politique et de littérature.
Quant au délicat travail de traduction et de restitution de la « musique » de la langue, elle explique avoir été beaucoup aidée par un enregistrement de la lecture de l’Etranger par Camus lui-même, ce qui lui a permis notamment d’imiter le style minimaliste de Meursault qui contraste avec le style lyrique utilisé pour décrire la nature. Enfin, elle a aussi porté une attention particulière dans la transposition en anglais de la 2e partie du livre qui tranche avec la première, avec plus d’analtse et des phrases plus longues.
Mais l’une des phrases les plus complexes à traduire, en dépit de son apparente simplicité, apparaît être son fameux incipit « Aujourd’hui, maman est morte. », sujet à débat.
La plupart des traducteurs avait traduit jusque là par « Mother ». Mais elle a estimé que le terme n’exprimait pas la relation étroite qu’implique le mot « Maman » en français.
Un autre traducteur avant laissé le terme français, mais elle a finalement opté pour « My mother died today », en rajoutant le pronom possessif comme le ferait un anglophone si comme Meursault il s’adressait à un interlocuteur (ici le lecteur) directement. Pour le reste du texte, elle a utilisé le terme « Mama », un compromis entre le Mum britannique et le Mom américain.
L’autre choix crucial était la place de l’adverbe « Aujourd’hui » qui ouvre la phrase en français et qui la ferme en anglais. Elle l’explique pour des questions d’emphase souvent placé à la fin en français mais qui intervient au début en anglais.
Un choix que réfutait un critique du New York Times en 2012 qui soulignait à juste titre que débuter sur l’adverbe « Aujourd’hui » était destiné à renseigner et insister en filigrane sur la psychologie de Meursault, un personnage qui vit d’abord et avant tout dans l’instant présent, sans se soucier ni du passé ni du futur.
Quant au paragraphe final où Meursault souhaite de nombreux spectateurs à son exécution et des cris de haine, elle a fait le choix d’expliquer dans son introduction la référence biblique qu’elle essaie de faire passer en anglais. Selon elle, la dernière phrase renvoie à ce que Camus disait au sujet de Meursault, le considérant comme le « seul Christ que nous méritons ».
« Tel le Christ, Meursault accepte de souffrir et de prendre sur lui les pêchés des autres à travers la mort. La société est coupable de le condamner au nom de sa différence, pour ce qu’il est plutôt que pour ce qu’il a fait. En reconnaissant la valeur de la vie, Meursault accepte aussi que son meurtre mérite sa condamnation. »
On pourra enfin aussi s’interroger sur le choix d' »outsider » (marginal) pour le titre du livre au lieu du plus fidèle « stranger », qui est plus ambigu à l’instar du titre français… A noter toutefois que ce dernier est parfois utilisé dans certaines traductions.
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