L’amour et les forêts d’Eric Reinhardt : « J’étais en train de me métamorphoser, pour la première fois de ma vie j’ai senti qu’enfin je devenais moi-même. »

L’amour et les forêts d’Eric Reinhardt paraît lors de la rentrée littéraire de sept. 2014. Ce portrait de femme souvent comparé à Mme Bovary (même si cela est réducteur) pour le côté femme mal mariée qui s’ennuie et (souffre) et rêve d’autre chose a connu un grand succès tant commercial (vendu à plus de 100000 exemplaires) et critique (prix France Télévisions, Renaudot des lycéens, France Culture-Télérama). Une adaptation au théâtre avec Isabelle Adjani a même été montée. Moins glorieuse est l’accusation de contrefaçon dont a aussi fait l’objet l’auteur révélé en mars 2015 (la mise en cause avait, elle, été faite dés janvier).

Je me suis remise à espérer qu’un beau matin l’équivalent d’un prince charmant surgira dans ma vie pour m’emporter loin de tout, même momentanément, même si ce prince charmant n’est pas un homme, oui, pas un homme, pas même un être humain, mais une péripétie charmante, un instant romanesque, une éclaircie soudaine et pleine d’espoir, un grand et beau moment d’intensité.

l'amour et les forêts analyse critique citations contrefaçon Avant d’analyser le roman L’amour et les forêts à proprement parler, je souhaite revenir sur l’affaire de plagiat (« contrefaçon » selon le terme juridique) qui a touché l’auteur et dont l’Express a publié une enquête approfondie. Je remercie la journaliste de son travail et d’avoir eu le courage de le publier. L’histoire est assez sordide (voir le détail ici), j’avoue avoir été choquée en lisant les faits et la trahison subie par cette lectrice qui lui faisait confiance, qui l’admirait et avait même tissé une amitié avec lui. Une femme qui lui a livré ses pensées, son histoire et qui a été jusqu’à lui confier un bien ô combien précieux, son manuscrit. Et que Reinhardt n’a rien trouvé de mieux que de piller ! Sans la consulter et en prétendant par la suite en interview, aléatoirement d’ailleurs, qu’il s’était inspiré de « plusieurs lectrices » puis « d’une lectrice rencontrée dans le train ». Dans le roman il donne encore une autre version : prétendant qu’elle lui aurait remis de « simples notes » pour qu’il les utilise pour en faire un livre car elle -n’ayant aucun talent- n’en aurait pas été capable… Le procédé est grossier et insultant. Il ose ainsi lui faire penser : »Ecrire non elle ne pensait pas en avoir le talent » (p237) puis « Non écrire ce n’était pas pour elle« , comme s’il voulait mieux se persuader des droits de s’approprier sa prose. Et enfin l’apothéose : « Les pages que j’ai écrites (…) je vous les enverrai, vous en ferez peut-être quelque chose un jour, si mon histoire vous inspire. » Malaise… Cela m’a un peu rappelé le cas de Montherlant qui avait également volé des phrases d’une autre lectrice admiratrice (Jeanne Sandelion) glissée dans Les jeunes filles mais sans aller jusqu’au point de Reinhardt et reprendre toute la trame d’un manuscrit.

Reinhardt reconnaît d’ailleurs dans le roman autofictif qu’il était alors sans inspiration : « Je suis redevenu moi-même. Il ne me reste plus rien. Je suis épuisé. »

J’imagine le choc qu’a dû ressentir cette personne de voir sa correspondance copiée-collée et son travail ainsi spolié et exposé (la partie vraiment intéressante du livre correspond précisément aux scènes reprises du manuscrit « La jetée » de cette lectrice, le reste (début et fin) n’étant que du « brodage » (raté) pour étoffer un peu le tout et avoir quand même un contenu purement personnel), la privant ainsi de toute possibilité de pouvoir un jour raconter son histoire et ses propres idées par elle-même puisque Reinhardt l’en a désormais dépossédée. J’espère vivement qu’elle pourra malgré tout relater sa version de l’histoire même si je suppose que l’accord (voir ci-dessous) signé la bâillonne probablement à ce sujet tristement.

Tout cela me paraît grave et pourtant, hormis l’Express, le reste de la presse s’est montré très tiède voire moqueuse sur cette histoire, relativement passée sous un silence gêné ou incrédule, après les encensements de l’auteur.

Cette lectrice, et auteur donc, dont les mots et le travail ont été volés a ainsi été méprisée, bafouée et rabaissée par les médias au rang de simple « admiratrice » un peu aigrie, passablement jalouse et envieuse du succès de L’amour et les forêts. Les faits pourtant clairement détaillés et bien définis comme « contrefaçon » ont aussi été minimisés au statut de simple « inspiration ». On en est pourtant loin. Et il y a tout de même une différence nette entre s’inspirer de la vie de quelqu’un et l’écrire avec ses propres phrases et la création originale d’une trame narrative, d’une composition en somme, etc. qui a mon sens ne remet pas en cause le travail et la valeur littéraires de l’auteur (même s’il peut effectivement y avoir tout de même préjudice si cette personne peut être identifiée publiquement et en souffrir, autre problème extra-littéraire) ET d’autre part copier et reproduire les écrits, le style de quelqu’un d’autre et carrément le déroulement de l’intrigue, les différentes scènes de son manuscrit. Cette volonté de semer la confusion et de minimiser l’atteinte au travail et à la création de cette femme est révoltante. Et tristement s’inscrit dans une répétition de l’histoire où le travail des femmes écrivains a été régulièrement pillé par les hommes qui s’en attribuent ensuite les lauriers et effacent leur nom de l’histoire littéraire. Quand cela va-t-il enfin cesser ??!

Aucun journaliste n’a aussi eu très étrangement la curiosité de suivre le dénouement de l’histoire ou d’interroger Reinhardt sur le sujet (qui est toujours resté d’ailleurs muet), ce qui paraît incroyable… Si l’affaire avait touché une écrivain femme, il en aurait probablement été autrement. J’avais donc mené l’enquête en 2017 et avais pu obtenir l’info de l’avocate qui m’a indiqué que cela s’était soldé par une « transaction confidentielle ». Comprenez Gallimard a allongé les billets pour éviter que l’affaire ne soit portée au tribunal et que tous les détails n’en soient exposés et le plagiat confirmé par voie judiciaire donc.

Lorsque Reinhardt a publié son nouveau roman La chambre des époux lors de la rentrée littéraire dernière de septembre 2018, l’omerta a aussi régné sur cette affaire. Son précédent succès L’amour et les forêts est aussi passé sous silence, un journaliste allant jusqu’à dire que c’est celui d’avant Cendrillon qui l’a consacré alors que le premier a clairement eu un retentissement bien plus important tant en terme de ventes que de succès critique.

On pourra ainsi comparer ce traitement médiatique à celui d’une auteur comme Calixthe Beyala qui n’a pas un article la concernant ou ses livres qui ne débute par le rappel de son plagiat qui date pourtant de 1996 !! Il semble que le droit à l’oubli ou au moins à tourner la page ne fonctionne pas de la même façon selon que l’on soit une femme (qui plus est de couleur) et un homme du sérail parisien… Double critère/standard toujours et encore. Tout cela est bien triste. Et même très inquiétant…

Trois parties inégales voire incohérentes…

Lire ce livre après connaissance de ces faits n’a pas été sans impact sur ma lecture.
J’avoue m’être demandée régulièrement (en particulier sur le cœur de livre directement repris du manuscrit de cette femme : « La jetée ») quelle était la proportion réellement originale de Reinhardt versus les écrits de cette femme.
Sachant que c’est justement cette partie qui est réellement intéressante, entre le long et lourd préambule de la rencontre de Reinhardt avec cette dernière qui vire à l’auto-promo-flatterie* sur quelques dizaines de pages quand même, pour son livre précédent Cendrillon qu’il couvre de toutes les louanges et panégyriques à travers son admiratrice et le dernier tiers (après la mort de Bénédicte Ombredanne) complètement saugrenu, laborieux, excessif, peu crédible et même souvent incohérent (cf. l’histoire de la soeur jumelle esthéticienne qui ne lit pas mais qui cite quand même Villiers de l’Isle-Adam, qui subitement surgit alors qu’il n’en avait jamais été question avant, idem pour le cancer et encore moins l’histoire rocambolesque de la rencontre avec son mari vraiment tirée par les cheveux et pas cohérente avec l’attachement qu’elle a pour lui et l’emprise qu’il exerce sur elle). L’auteur semble même curieusement avoir conscience de ces défauts en faisant dire à la soeur : « Si un jour vous écrivez un livre à partir de cette histoire, on pensera que vous avez beaucoup d’imagination et que cette imagination n’est pas terrible, qu’elle est un peu lourde. »

Autres incohérences relevées, aussi probablement liée à la juxtaposition du récit original et des rajouts de Reinhardt : le fait que l’héroïne, déchirée, refuse au final d’avoir une relation avec son amant pourtant parfait en tout point par fidélité à son mari et rompt donc avec lui, mais quelques mois plus tard indique qu’elle a un nouvel amant comme si c’était la chose la plus banale du monde (cf: histoire des 2 téléphones portables, etc.). Ce qui n’est pas du tout logique avec son attitude précédente et son coup de foudre. La relation avec ses enfants est aussi en incohérence entre le coeur de livre et la dernière partie du récit de sa soeur.

Au passage nous avons droit à un étalage de références littéraires que Reinhardt aime bien faire dans ses romans en général, ce qui est assez délicat à réussir en général sans que cela ne fasse « plaqué » et artificiel ou que l’auteur n’essaie de faire rejaillir sur lui le prestige de ses idoles et qu’il fait plutôt maladroitement. Ici le roman est placé, assez artificiellement d’ailleurs, sous le signe de Villiers de l’Isle-Adam (dont il va jusqu’à insérer une nouvelle entière lors de la perte de connaissance de Bénédicte après sa tentative de suicide, pour rester en phase avec le principe de ce livre basé sur la reprise des écrits d’autrui donc :-)).

Autre point de désagrément tout personnel : la tendance fétichiste pour les pieds (ainsi que d’autres fantasmes personnels comme les rousses, les dentelles, les poétesses décadentes ou autres…) de Reinhardt qui jalonne/parasite le roman, à travers notamment son obsession des tenues d’Ombredanne et en particulier de ses « bottines à lacets » sur lesquels il insiste lourdement.

Rien n’est pire que le dur des surfaces planes, que le tangible des surfaces dures, que l’obstacle des écrans qui se dressent (…) Je préfère le profond, ce qui peut se pénétrer, ce en quoi il est envisageable de s’engloutir, de se dissimuler : l’amour et les forêts, la nuit, l’automne (…).

De l’emprise à la révolte

C’est vraiment lorsqu’on sort des considérations de l’auteur et que l’on plonge dans la vie de cette professeur de français mariée deux enfants en proie à un mari possessif, manipulateur et oppressant que le récit retient plus particulièrement l’attention. Même si j’avoue avoir eu bon nombre de réticences sur ce thème sous-jaçent de l’homme pervers narcissique qui hante depuis quelques décennies les rayons de développement personnel. Mais Reinhardt évite l’écueil de sur-psychologisation, en laissant quelques zones d’ombre et nuances (du moins jusqu’à la dernière partie totalement exagérée avec la soeur jumelle donc).

C’est environné du réel le plus aride que se déploie le merveilleux.

Le récit s’enchaîne ainsi parfaitement et tient en haleine pendant ses quelques chapitres centraux, avec une mécanique narrative cohérente mais pas téléphonée. Bénédicte Ombredanne émeut, étonne, créée l’attachement et surtout évite le cliché. Beaucoup de justesse dans ce portrait avant la bascule du dernier tiers donc qui n’a plus ni queue ni tête (on sait donc pourquoi désormais).

L'amour et les forêts analyse critique citations extraits

Reinhardt tente aussi des expériences stylistiques audacieuses et intéressantes. Le passage sur la « crise » du mari, aberrante dans l’inversion des rôles qu’il parvient à imposer à sa femme ou encore la « plongée » dans le site de rencontre en font partie. J’avoue avoir abordé cette dernière avec beaucoup de réticence en voyant que Reinhardt retranscrivait les dialogues avec tous les clichés que cela suppose mais finalement la scène originale fonctionne bien par son cynisme et le télescopage bien maîtrisé et burlesque des différents messages.
« Elle fut projetée soudain dans la grande cuve du masculin où elle sentit qu’elle s’enfonçait dans une eau tiède et surpeuplée, profonde, malsaine. Son écran était maintenant comme la fenêtre d’un scaphandre, elle perçut les secousses de tout untas d’anguilles et de présences précipitées qui la frôlaient de leur luisante viscosité, sans précaution, ni ménagement. »

Reste la scène pivot du livre à savoir la fameuse rencontre amoureuse dans la forêt donc. Tout cela laisse perplexe. J’avoue qu’elle m’a décoché quelques sourires incrédules. Que se passe-t-il, avons nous basculé dans 50 nuances de Gray ? Tout n’est pas raté dans cette scène amoureuse (notamment la tension d’une 1e rencontre et plus encore adultère, le dilemme de l’héroïne à passer à l’acte et sa pudeur dans certains gestes qui sonnent justes et sont réussies) mais Reinhardt nous sert parfois des dialogues de série B fort étranges (les deux personnages disent souvent qu’ils se font « rire » sauf que rien n’est drôle dans leurs répliques, sans doute les mystères de l’amour ?) avec des double sens (cf: les flèches) pas toujours très fins…

« Christian et Bénédicte Ombredanne se tenaient par la taille, ils se parlaient et s’arrêtaient souvent pour s’embrasser. Leurs mains parfois se mettaient l’une dans l’autre, mais Bénédicte Ombredanne n’arrivait pas à accepter ce geste intime, comme si ses doigts, en se laissant toucher, accordaient à Christian des espérances qu’elle n’était pas habilitée à lui offrir. Quand elle sentait dans la sienne la main de cet autre homme, elle se mettait à penser à la femme qu’elle était dans la réalité, mariée et mère de deux enfants, et cette femme-là, en elle s’offusquait électriquement de ce geste hérétique, à la connotation matrimoniale, tandis que leurs baisers, y compris les plus radicaux, la lui faisaient oublier complètement. »

Quant à la scène de lit « torride » très phallo-centrée (tout comme l’ensemble du roman, qui cite et glorifie ce dernier à de très nombreuses reprises très lourdes donc) et pas très réaliste, on dira que l’auteur s’est fait plaisir, avec en prime un autre fantasme apparemment celui de coït sous la « pupille constante et résignée » d’un prélat (tableau dans la chambre). Sans parler de cette scène ultérieure -probablement très dispensable et très ridicule- dans la TGV où l’auteur se « soulage » en fantasmant sur les formes de la soeur jumelle… On ressent une grosse frustration de sa part… De façon générale, Reinhardt a une tendance à tout réduire au sexe (cela semble d’ailleurs être selon lui le besoin essentiel d’Ombredanne, alors que son besoin de complicité, d’écoute et de compréhension est flagrant dans leur rencontre initiale) comme la discussion dans la cafétéria de l’hôpital. Il y a une sorte d’auto-complaisance graveleuse sur ce sujet, sans pudibonderie aucune.

Enfin, l’insertion d’une échappée onirique avec la nouvelle de Villiers de L’Isle-Adam crée un moment de suspens intéressant après le pic dramatique. Bien aimé aussi la fin du roman, une belle idée narrative même si encore une fois les dialogues sonnent un peu série B. Les incises en style indirect libre qu’il manie bien par ailleurs sont plus réussies et donne un côté plus fluide et vivante à la narration (hormis les adressesà lui-même -de type « cher Eric » ou « Vous savez Eric »- qui surgissent dans l’intrigue et la parasite avec sa personne qu’il ne peut s’empêcher de ramener).

L’obstination au malheur

Ce qui frappe dans le personnage d’Ombredanne, et qui surprend toujours dans ces situations qui ont désormais fait l’objet de nombreuses études cliniques, c’est son obstination à endurer le pire, telle une martyre, rester avec son mari qui lui fait vivre un enfer, renoncer fermement au bonheur de pouvoir démarrer une relation plus saine, refuser de se plaindre ou de critiquer son mari. On pourra penser à une emprise mentale ou une fidélité maritale par principe malgré son aventure, un amour aussi malgré tout pour son harceleur ce qu’elle évoque à demi-mot (raison pour laquelle la suite inventée par Reinhardt sur le second amant qu’elle aurait pris ne correspond pas au personnage) : « Elle éclatait en sanglot. Elle se recroquevillait sur le sol de leur chambre, appuyée contre un mur. Elle avait mal au ventre, elle suffoquait d’angoisse, elle se sentait à la limite de la rupture. Mais rien, en elle, ne se brisait, ni ne rompait malheureusement : cette résistance la condamnait à endurer, à vif, chaque nuit, sans pouvoir s’y soustraire, les interrogatoires interminables. »

Bénédicte Ombredanne, énième avatar de Mme Bovary ? & Influence romantique de Reinhardt

La comparaison a rapidement été faite entre Ombredanne et Bovary (ou encore Anna Karénine ou la Dame aux camélias) que la critique aime à ressortir à toutes les sauces dés qu’on a affaire à une femme mal mariée qui trompe son mari. Les deux n’ont pourtant pas grand chose en commun puisque Ombredanne est lettrée et même érudite même si Reinhardt tente par tous les moyens de la réduire à une simple admiratrice passive incapable de création par elle-même (et même quand elle écrit ce n’est que pour servir de matière première brute à un « homme créateur » donc, cantonnée au rôle de « muse »), cf. ci-dessus, mais également envers son amant Christian qui écrit de la poésie tandis qu’elle joue les groupies une fois de plus.
D’autre part, Ombredanne fait intéressant est le chef de famille au sens où c’est elle qui fait vivre le foyer puisque son mari a été sanctionné suite à son comportement (ce qui rend d’autant plus incompréhensible son attachement à cet homme hormis lorsqu’elle évoque plus tard ses menaces mais qui ne sont pas présentes au début et donc pas à la racine de son entêtement). Femme indépendante qui gagne sa vie donc et n’a rien d’une dépensière frivole contrairement au portrait que fait Flaubert de la femme… Reste une certaine fatalité dans sa résignation au malheur, son renoncement au bonheur, qui pourrait la rapprocher d’une héroïne romantique maudite.

Le style de Reinhardt a aussi souvent été rapproché des auteurs romantiques avec lesquels il revendique d’ailleurs une filiation. Il est vrai que ce dernier travaille particulièrement sa langue, ce qui est appréciable à l’heure des romans Wattpad ! Toutefois ce côté précieux, voire maniéré, s’il peut donner des images poétiques intéressantes pèche assez souvent par sa lourdeur ou des trivialités enrobées dans du papier de soie (ex: « Le visage de ma jumelle possédait la particularité de s’éclairer quand elle était heureuse, et de s’envelopper d’une sorte de crachin gris quand elle n’allait pas bien« ).

Se retrouver, se réinventer : réflexion sur l’identité à travers l’art et l’écriture

Un des thèmes développés dans ce roman particulièrement intéressant concerne sa réflexion sur l’identité : comment se (re)trouver, ne pas se laisser dévorer par les autres, ses proches, conserver son individualité propre et ne pas se laisser définir ou enfermer dans un rôle qui ne nous convient pas.
Ombredanne va ainsi connaître un bref instant cet instant de révélation qui va enfin lui donner l’impulsion de changer sa vie et de laisser libre cours à ses désirs profonds, de « devenir elle-même ».
En filigrane, le roman interroge cette idée des « possibles » dans une vie, quelle marge de liberté avons-nous mais surtout nous autorisons-nous ? Et lorsque l’on pense être dans une impasse, voire dans une prison, Reinhardt veut croire à ces ressources intérieures insoupçonnées qui nous permettent parfois de déceler des passages secrets, des issues de secours où s’échapper, ce qu’il développe joliment à plusieurs reprises : « Il suffit peut être de savoir regarder un vieux plancher ? Personne ne regarde les vieux planchers, personne ne scrute son quotidien usé avec l’espoir que s’y révèlent une trappe secrète, le démarrage d’un escalier, les ténèbres d’un espace inconnu. Il suffit peut-être de surveiller la surface de son quotidien, d’avoir suffisamment de sensibilité pour détecter l’existence d’un passage, pour identifier la nécessité de s’y faire disparaître ? »
L’acte d’écriture joue bien sûr ici à plein son rôle de sublimation et de prise de pouvoir sur le réel que l’on peut enfin se réapproprier. C’est ce qu’expérimente/redécouvre Ombredanne lorsqu’elle se met à écrire lors de son internement psychiatrique : « J’étais en train de me métamorphoser, pour la première fois de ma vie j’ai senti qu’enfin je devenais moi-même. »
Ici encore malheureusement la réalité se superpose à la fiction et on ne peut s’empêcher de songer au vol d’identité que constitue un plagiat…

« En même temps qu’elle retrouvait la valeur essentielle d’une simple feuille de papier, la rayonnante valeur de sa personne se laissait de nouveau percevoir, sa saveur, ce par quoi elle se définissait comme un être distinct des autres unique, indicible estimable, au fond d’elle-même. Chaque fois qu’elle les relisait, elle éprouvait la sensation de se refléter dans un miroir, un miroir où elle avait la surprise toujours, de se trouver unique et estimable, poétiquement à son goût. Le bonheur qu’elle éprouvait d’avoir redécouvert dans son être ce filon de minerai oublié, en d’autres termes toute l’initiale singularité de sa sensibilité, et de son univers mental, gisement dont elle se réjouissait de pouvoir l’exploiter de nouveau, chaque jour, par les forages de ses écrits (…) Quel bonheur que d’écrire, quel bonheur que de pouvoir, la nuit, souvent la nuit, s’introduire en soi et dépeindre ce qu’on y voit, ce qu’on y sent, ce qu’on entend que murmurent les souvenirs, la nostalgie ou le besoin de retrouver intacte sa propre grâce évanouie, évanouie dans la réalité mais bien vivante au fond de soi, vivante au fond de soi et éclairée au loin comme une maison dans la nuit une maison vers laquelle on laisse guider ses pas, seul, conduit par la confiance, l’inspiration, ses intuitions renaissantes, par le désir de rejoindre cet endroit qu’on voit briller au loin dans les ténèbres, attirant, illuminé, en sachant que c’est chez soi,
que c’est là que se trouve enfermé, au fond de soi, ce qu’on a de plus précieux, son être le plus secret.
 »

A la lecture de ce passage résonnant, m’est revenu une belle image du film de Woody Allen, Alice que j’avais beaucoup aimée, autre histoire de femme peu épanouie dans son couple et qui prendra un amant décidément figure inépuisable. La scène où elle se décide à essayer d’écrire et à prendre de l’indépendance, où elle lutte contre la page blanche jusqu’à trouver l’inspiration et parle à sa muse dans le secret de la nuit à sa table de travail.
[Alexandra Galakof]

Article en cours de finalisation et de relecture. Merci de votre indulgence et de votre patience 🙂

*Mon sentiment n’est pourtant pas partagé par tous/toutes puisque que la chroniqueuse Caroline Doudet qualifiait, elle, ce moment d’ego surgonflé « d’extraordinaire bulle autoréflexive« . Comme quoi tout est subjectif 🙂

4 Commentaires

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    • Hiblot sur 7 avril 2023 à 16 h 11 min
    • Répondre

    Bonjour,
    Je ne comprends pas à quoi correspond le dernier chapitre du livre.
    Pouvez-vous me l’expliquer, svp? Merci.

    PS: Une châtaigne est protégée non par une cosse mais une bogue.

    • Magali BERTRAND sur 27 mai 2023 à 22 h 58 min
    • Répondre

    Merci de m’avoir permis de lire cette analyse très fouillée qui m’a replongée avec une grande acuité précisément dans l’état d’esprit où je me trouvais au moment de la lecture de ce roman ! Manipulation au carré, donc, sous la beauté de la plume, comme un masque qui dissimulerait un visage au sourire faux.

    • Roussel sur 4 novembre 2023 à 1 h 20 min
    • Répondre

    merci beaucoup pour cette critique, la première qui me conforte enfin! et qui attise ma curiosité tout en m’apprenant des choses. Bonjour, je suis en train de rédiger ma propre critique sur l’AELF, et aimerais savoir si j’ai votre autorisation pour citer votre passage sur la contrefaçon, je n’ai en effet pas pu lire l’article de l’express (il faut en effet s’abonner) et souhaiterais m’en remettre au résultat de votre enquête, <> surtout que comme vous le dites aussi, la presse a un peu esquivé le sujet reinhardt… haha… donc voilà je vous demande votre accord, je pense publier ma critique sur senscritique lorsqu’elle sera prête j’espère que vous verrez mon message, merci en tout cas si vous me répondez ! 🙂

    1. Bonjour oui je vous donne mon accord merci à vous

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