Il y a quelques mois, Sophie Marceau étonnait le public en annonçant sur son Instagram la sortie du recueil de poésie (dont le titre de cet article est extrait) de son fils Vincent Zulawski, après une épreuve difficile dont il s’est apparemment relevé avec brio : « Le charlatan et autres poèmes. » Pour sa première parution, le jeune réalisateur, lui-même lecteur amateur de Rimbaud, n’a pas choisi la facilité : il se lance avec un recueil de prose poétique franco-anglais qui aborde des thèmes variés et difficiles sur près de 100 pages. Malheureusement les médias n’ont porté qu’une attention superficielle au contenu de cette première oeuvre pour ne retenir que son ascendance célèbre. Pour ses débuts littéraires, il a choisi de faire confiance à la petite maison d’édition indépendante Fougue éditions, fondée fin 2018 par Mahtab Ashraf, qui après avoir publié chez Hachette a décidé de se lancer en tant qu’éditrice (voir son interview). Alors que vaut littérairement le texte de ce jeune auteur de 24 ans et qu’en attendre ? Vincent Zulawski a également accepté de répondre à nos questions sur ses sources d’inspiration et son approche de l’art poétique :
J’ai chevauché l’Apocalypse
Critique et interview d’Alexandra Galakof
Publier un recueil de poésie à l’heure des réseaux sociaux et des SMS, même si ces derniers peuvent devenir eux-mêmes support ou matériau poétiques, reste un acte courageux et presque militant. Non, la poésie n’est pas morte et même si la « littérature de la littérature » peine à se faire entendre et à être lue, il est réjouissant de constater que la nouvelle génération d’auteurs ne la déserte pas et n’hésite pas à s’y lancer. Vincent Zulawski en fait partie. Ces textes sonnent comme une renaissance et témoignent d’une belle résilience, toujours avec une grande pudeur. Le jeune homme tenant à se faire un nom par lui-même loin de ses célèbres ascendants.
Il y exorcise ses démons, ses « bas-fonds » (titre d’un de ses poèmes d’ailleurs) autour de la figure étonnante et ambivalente du « charlatan » qui enchante de ses illusions, entre syndrome de l’imposteur et rêveur, et souffre aussi du monde qui l’entoure, « errant-sans-le-sou, » « tout effiloché » transposition de la figure du poète maudit, de l’albatros baudelairien inadapté au monde terrestre. D’ailleurs le thème de l’envol est aussi très présent dans ce recueil où le poète se rêve souvent ailé.
Rattaché à ce thème, la nostalgie de l’enfance se fait aussi sentir tandis que l’absence, le deuil du père « du vin et d’un souffle de la Pologne » lui pèse, une figure maternelle, qui pleure le départ du fils, ou que l’on croit apercevoir dans la figure d’une « reine du royaume aux larmes rouge sang. » La prose poétique prend des accents mystiques voire apocalyptiques ou prophétique:
« Nous observons les couleurs tandis que les sages et les fous se rangent en crépitant des pieds. »
Son expérience de l’enfermement est aussi abordée dans le poème ou il sent « lion en cage » cerné de « clowns et de vomisseurs de mots. » Et où il se languit des « longs doigts caressants » de la liberté. Le monde prend aussi des aspects effrayants sous sa plume: monde de ferraille, « araignée » ou « colosse de fer » témoignant d’une peur primitive d’un monde écrasant et oppressant. Êtres, spectre visqueux , haleine de serpent, chat noir peuplent aussi les pages pour une atmosphère Lautréamonienne. On y croise aussi sirènes et (la fumée de) dragons… Une imagerie fantastique ou plus énigmatique désarçonne parfois sans qu’on ne sache toujours à quoi il est fait référence comme des rêves éveillés. La figure du succube par exemple revient ? Parfois on est dans un registre plus terre à terre qui frappe juste ou décoche un sourire: le « tumulte de ses pensées » fait de « larges camions et de petits bolides teigneux. » Enfin il rend un bel hommage dans « Petit livre bleu » (dont la citation ci-dessous est extraite) aux Illuminations de Rimbaud, ce « rêve interminable » dans lequel son corps aime « giser« .
Le jeune homme ébranlé a enfin trouvé l’écho de son indignation.
Au fil des pages, nous entrons dans ce cœur et nous laissons entraîner dans ce voyage à travers ses états d’âme, pensées existentielles, entre effroi, découragement, enfer et échappées oniriques, la recherche de sens et de sérénité d’un écorché, puis aussi le goût de la vie qui revient affleurer entre deux visions cauchemardesques à la faveur de ces petits riens comme le retour de l’été, des terrasses de café, d’une certaine légèreté, insouciance, l’enivrement des sens « enfumés« , se laisser griser par l’odeur de l’herbe, sympathique ode rendue au « bouillon noir » du café. Le poème Mauvaise habitude, « ce bord de page trop mâchouillé » décrit de façon vivante et singulière cette difficulté familière de s’en défaire.
Première oeuvre oblige, on n’échappe pas à quelques facilités, clichés et maladresses (ses amis comparés à une « bande de chacals« , rimes malheureuses comme le « monde néfaste » avec « chaste » dont on ne comprend pas bien le lien de cause à effet…), un peu de naïveté aussi qui pourra apparaître touchante dans ses élans parfois excessifs peut-être…
On sent une passion des mots malgré tout, un imaginaire riche. Et cette volonté de résistance, résilience, de ne pas se laisser sombrer, happer par la dureté ou les déceptions du monde, la « véracité du mal« .
Ayant étudié à New York et vivant à Londres, Zulawski est aussi parfaitement bilingue, et maîtrise d’ailleurs peut-être mieux l’anglais à en juger par le niveau linguistique (et même trilingue avec le polonais) et une (grosse) partie du recueil est donc dans la langue de Wordsworth, ce que l’on pourra regretter, tout le monde ne maitrisant pas forcément la langue et ses subtilités déjà fort omnipresente dans le paysage français (la mode de mélanger anglais et français étant devenue une habitude dans les oeuvres contemporaines, souvent à mauvais escient tristement). Les textes traduits n’ayant pas la même force poétique que les originaux, d’autant que la poésie n’est pas un genre qui supporte bien le passage d’une langue à l’autre, chacune ayant sa propre musicalité ou expression idiomatique. Ce qui sonne bien chez l’une ne le sera pas forcément chez l’autre malheureusement…
Interview de Vincent Zulawski, auteur du recueil « Le Charlatan et autres poèmes »
Comment vous est venue l’envie d’écrire de la poésie et non un roman par exemple, est ce une activité/désir de longue date ou un exutoire, autre, etc. ?
La poésie me vient plus facilement, c’est un exutoire immédiat, je peux m’asseoir et écrire un poème en cinq minutes, tout comme en une demi-heure, mais la plupart du temps j’écris vite et c’est donc un bon moyen de canaliser mes émotions rapidement. Cela fait peut-être trois ans que j’écris de la poésie, je ne l’ai jamais fait très sérieusement, c’est maintenant pourtant devenu une activité quotidienne – j’avais juste envie de transmettre mes émotions sur papier et je trouvais quele faire sous forme poétique était plus facile.
Vous citez Rimbaud. Êtes vous lecteur de poésie en général et si oui quelles sont vos références et univers poétique ? Je pense notamment à Artaud. Est6ce vos parents qui vous ont transmis ce goût?
J’aime beaucoup la poésie oui. Parmi mes favoris je devrais citer: Rumi, Rilke, Bukowski, Walt Whitman, Baudelaire… Mes parents m’ont transmis l’amour de l’art en général, que ce soit la musique ou la peinture, j’ai beaucoup appris de leur part, cependant pour la poésie, j’aime bien me dire que ce sont mes recherches personnelles sur internet qui m’ont fait découvrir mes poètes préférés.
Pensez-vous qu’il y ait encore un lectorat pour la poésie en particulier contemporaine et avez vous déjà été tenté par ses formes numériques (ex: instapoet) ?
Malheureusement la lecture de poésie est en déclin. Nous vivons dans un moment où la gratification immédiate prône en maître et nous sommes tellement dans le concret que la forme poétique, la métaphore, le goût du mystère passent à la trappe. Et non, je n’ai jamais essayé de me publier sous forme numérique, je préfère être publié sur papier.
Vous évoquez votre expérience de l’enfermement. Est-ce le catalyseur de votre écriture ?
Je préfère ne pas répondre à cette question. Merci
Pensez-vous que la littérature, la poésie ont un rôle à jouer pour guérir les maux de l’âme et pourquoi ? Quelle a été votre expérience personnelle ?
Absolument. On peut parfois se perdre dans un livre, dans un poème, tout comme on peut se retrouver. On peut tomber amoureux d’un personnage fictif tout comme on peut en haïr un autre. Ce sont des mondes dans lesquels on se plonge et on peut en oublier momentanément le monde autour de soi, tout cela pour y revenir plus riche, plus rafraîchi, mieux compris. Il arrive parfois de lire des passages qui englobent d’une telle justesse la condition de l’homme que l’on a l’impression que le monde a du sens. En tout cas telle a été mon expérience personnelle.
Pourquoi avoir choisi l’image frappante du charlatan comme titre de votre recueil et d’un de vos poèmes. Que représente-t-il à vos yeux et pourquoi cette identification?
C’était tout simplement le poème préféré que j’ai écrit. Le charlatan virevolte au bord de nos sociétés, c’est un être marginal qui est plein de magie, à mon avis.
Quels sont vos rituels d’écriture, comment vous vient l’inspiration ? De part votre formation à la mise en scène, êtes vous plus sensible au visuel par exemple ou est-ce plus intérieur, etc. ?
Mon rituel est tout simplement de m’asseoir après le réveil avec une tasse de café et de me mettre à écrire. L’inspiration peut me venir de n’importe quoi, d’une pensée, d’un objet, d’un animal… Je pense que je m’inspire autant du monde intérieur que du monde extérieur.
Prévoyez-vous d’écrire un nouveau recueil ou de passer au roman ou autre projet d’écriture?
Oui absolument ! Un nouveau recueil pour l’année prochaine. Je ne pense pas encore me lancer dans la prose, il me faut encore un temps de maturation, je ne pense pas encore être assez bon pour écrire un roman, mais la poésie, alors ça oui !
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