Dans diverses interviews de 2011 et 2019, les deux reines de l’autofiction française, Camille Laurens et Annie Ernaux commentent l’usage de l’étiquette « autofiction » dans la critique française (la dernière rejetant l’étiquette et lui préfère le terme d' »autosociobiographie » en ce qui concerne son travail littéraire). Elles réagissent plus particulièrement aux préjugés, teintés de sexisme, qui entourent le genre souvent décrié en France…
Annie Ernaux remarque ainsi : « Ce qui me frappe, c’est qu’on parle beaucoup plus souvent d’autofiction à propos de textes, quels qu’ils soient, écrits par des femmes et qu’on ne le fait jamais, ou rarement, quand il s’agit de textes d’écrivains masculins auxquels le même label s’appliquerait sans difficulté. Je n’ai jamais entendu le mot « autofiction » à propos de Philip Roth, Philippe Sollers, Jean Rouaud, Emmanuel Carrère, Frédéric-Yves Jeannet, etc. Et pourquoi veut-on toujours me classer comme auteur d’autofiction, ce que je ne suis pas, mais pas Le Clézio, qui ne l’est pas non plus, quand il écrit L’Africain ? Tout se passe très subtilement comme si l’autofiction était principalement un genre féminin, avec un côté sentimentalo-trash, narcissique, façon détournée, inconsciente, d’assigner aux femmes leur domaine, leurs limites en littérature. »
De son côté Camille Laurens renchèrit : « Ce n’est pas sans misogynie que certains dénient à l’autofiction sa dimension littéraire : l’attention à l’intime et au sensible serait une sorte de catégorie du narcissisme féminin, liée au pathos et à l’impudeur. Comme si la pudeur était un critère, en littérature ! C’est par l’exigence stylistique et formelle que l’écriture de soi vise à l’universel. »
Elle explique en complément: « Le terme s’est vu progressivement associé au féminin. Les auteurs d’autofiction qui sont le plus souvent cités sont des femmes, alors que pour des auteurs qui relèvent clairement de ce genre, comme Philippe Sollers ou Emmanuel Carrère par exemple, étrangement, le terme n’est pas employé. [Les femmes] sont forcément celles qui déballent leurs petits secrets. Il y a dans ce phénomène médiatique une minoration de l’écriture des femmes qui me scandalise. Encore aujourd’hui dans la presse, l’autofiction est jugée nombriliste, narcissique, le terme est toujours employé en mauvaise part, et beaucoup d’auteurs se défendent d’appartenir à ce genre, même quand leur roman est manifestement autobiographique. C’est devenu le repoussoir total. »
Source : Extrait interview Le Monde des Livres, février 2011 et Master classe France culture (août 2019)
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