Vanessa Springora est la première des adolescentes avec l’écrivain Gabriel Matzneff qui a pu faire entendre sa voix en écrivant dans un livre (Le consentement) sa version -bien différente- de l’histoire déjà narrée par son prédateur dans l’un de ses journaux (La prunelle de mes yeux, 1993). En 2019, le réseau d’influence de Matzneff n’avait pas pu empêcher cette publication et la faire taire. Ce n’est pas le cas d’une précédente de ses relations de 3 ans jusqu’à ses 18 ans, Francesca Gee (qui lui a inspiré La passion Francesca et Ivre du vin perdu) qui elle n’a jamais réussi à faire publier son manuscrit en 2004, suite au lobbying exercé par son abuseur.
C’est dans une enquête fournie du New York Times* que Gee (devenue journaliste) a choisi de s’exprimer et de révéler ce qui lui était arrivé, libérant à son tour une parole trop longtemps réprimée.
Dans ce livre passé sous silence, elle livrait un témoignage concordant avec les méthodes de « chasse » et mécanismes d’emprise décrits par Springora. Elle le décrit comme un « cataclysme qui s’était abattu sur moi à 15 ans, et qui devait changer le cours de mon existence » — la laissant « honteuse, amère, confuse ».
Celui-ci s’est heurté à une série de refus des éditeurs, tous craintifs de déplaire à Matzneff, malgré la tentative d’un éditeur d’Albin Michel de le faire paraître avant d’être rejeté en comité de lecture.
Dans sa lettre de refus, ce dernier (en la personne de Thierry Pfister, ) lui expliquait que le comité ne voulait pas s’attirer les foudres du milieu de l’édition germanopratin dont Matzneff fait partie. « Il y avait plus de coups à prendre que de gains à en tirer. » résume-t-il.
Même Grasset, l’éditeur de Springora, l’avait refusé à l’époque. Martine Boutang, éditrice chez Grasset a justifié que le sujet était alors « trop sensible » et que deux membres du comité de lecture de Grasset étaient « proches de Matzneff ». Même son de cloche chez Bayard, où Geneviève Jurgensen estime que « c’était quinze ans trop tôt. Le monde n’était pas prêt ». Dans tous les cas, la qualité littéraire n’était pas en cause.
A l’image de Springora, Francesca Gee a aussi expliqué, ses troubles psychologiques, sa dépression et ses difficultés pour tenter de faire interdire la publication de ses lettres publiées sans son autorisation par Matzneff dans ses livres, lettres que lui-même commanditait pour s’en servir ensuite d’outil de propagande pour ses relations avec des mineurs ou enfants en affirmant que son initiation sexuelle et intellectuelle leur rendait « grand service » et leur était extrêmement « féconde. » L’écrivain a aussi reproduit sa photographie sur son roman Ivre du vin perdu, toujours contre son gré, aggravant le traumatisme.
« Il a toujours fait un usage public des lettres que je lui ai écrites entre 13 et 15 ans dans ses livres, ce n’est pas une nouveauté pour moi […] Il a toujours suscité des lettres de jeunes adolescentes pour les avoir comme preuves, plus tard. Preuves de mon consentement, de mon amour. Aujourd’hui, je considère qu’elles m’ont été extorquées et employées comme armes à mon encontre. »
* « Longtemps contrainte au silence, la victime d’un écrivain pédophile témoigne enfin » (de Norimitsu Onishi)
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