Emmanuelle Richard, jeune auteur de la génération Y très remarquée, a publié son premier roman adulte, La légèreté à l’âge de 28 ans aux éditions de l’Olivier, récit de l’éveil du désir adolescent sur fond de vacances d’été et de complexe social dans le milieu bourgeois de l’Ile de Ré. Suivront Pour la peau en 2016, prix Anaïs Nin, radiographie d’une passion amoureuse à la fois maudite et réparatrice avec un ex-toxico plus âgé où elle explore leur difficile apprivoisement mutuel, et Désintégration en 2018 chronique plus diverse de ses années étudiante à Paris au sein d’une colocation avec quelques fils de nantis alors qu’elle souffre de précarité et galère tant financièrement que sentimentalement. D’inspiration autobiographique, dans la lignée d’une Annie Ernaux dont elle se réclame et fascinée de rap (PNL, etc.), ses écrits s’attachent à décrire de l’intérieur, avec une grande acuité, intensité et sensorialité ses expériences d’initiation tant amoureuse que sociale et professionnelle d’adolescente puis de jeune femme, avec toujours une réflexion sur le fossé des classes sociales et de la honte ressentie sur ses origines modestes. Sa force tient notamment à son style particulièrement travaillé pour retranscrire avec précision chaque sensation et sentiment, sous une forme à la fois brute, percutante et fine. Forte de cette oeuvre déjà riche, elle partage les coulisses de son écriture et de la construction de ses romans, tant sur le fond que sur la forme, ou encore sa vision de l’autofiction et sa recherche d’un éditeur…:
Emmanuelle Richard, auteur de La légèreté, Pour la peau et Désintégration (éditions de l’Olivier)
Processus de construction de la structure du roman
« Au départ il y a une poignée de pages préexistantes au livre qui sont le fruit d’une obsession, ou d’un souvenir qui me hante et que je veux sauver, dont je veux garder une trace. Dans La Légèreté c’est la scène de rencontre entre le garçon et la jeune fille, sur la route goudronnée, le long du cirque avec les fauves. Dans Pour la peau c’est la première page qui ne contient qu’un paragraphe. Dans ce livre-ci c’était ce monologue sur l’été.
Il s’agissait presque d’écriture automatique. J’ai su tout de suite qu’il y avait un livre qui se construirait autour, mais pendant longtemps je ne savais pas quoi, et pendant près d’un an, je n’avais rien de plus, j’essayais d’écrire sans y parvenir. J’ai même pensé à arrêter complètement d’écrire, je suis passée par une grande phase de dégoût que je n’avais jamais connue concernant l’écriture. Puis j’ai laissé tombé, et ça s’est remanifesté tout seul quelques mois après. Là, j’avais la structure. Alors j’ai pu commencer à écrire − je ne peux pas commencer à rédiger un livre si je n’en ai pas trouvé la structure.Je n’ai aucune idée de comment ça travaille en moi.
Je savais depuis longtemps que je voulais faire un livre autour des motifs de l’argent et du travail, depuis l’intérieur, parce que seul ce qui est incarné m’intéresse. Je pense qu’au bout d’un moment, le monologue, le motif de l’argent et ce que j’ai pu entrevoir du succès à un tout petit niveau avec les retombées de Pour la peau, tout ça a fusionné et a fini par se structurer tout seul, je ne peux pas expliquer comment. Il y a une grosse part du processus d’écriture qui se fait malgré soi, en tout cas dans mon cas c’est toujours comme ça que ça se passe. Une poignée de pages dont je ne sais pas quoi faire ; puis ça décante, ça travaille et je trouve une structure, ou plutôt la structure apparaît. Ensuite ça dure huit mois, huit mois d’écriture à ne rien faire d’autre, puis presque deux ans sans écrire une ligne. C’est à peu près mon rythme. Je n’ai décidé de rien, simplement je le constate. »
Le travail du style et du rythme du livre
« Je passe beaucoup de temps à ponctuer (…). Je tords la phrase, j’essaie plusieurs syntaxes différentes. Et lorsque la phrase est juste, je ressens quelque chose de physique que je ne saurai expliquer. J’accorde beaucoup d’importance au rythme. La ponctuation influe aussi sur la manière dont le texte se répartit sur la page, avec des moments plus longs, d’autres plus courts, la liste d’adjectifs, etc. (…) J’aime bien que ce soit une langue assez simple, j’aime l’épure minimaliste. (…) J’aime bien aussi introduire de l’oralité et parfois malmener la langue. »
L’équilibre entre la forme et le fond
« Je peux lire un livre sans fond ni narration mais pourvu d’une écriture, tandis que l’inverse n’est pas vrai. En tout cas, dans mon travail, j’essaie toujours de trouver un équilibre. Je considère que l’un sans l’autre, ça ne fonctionne pas. Il y a un manque.
L’écriture est aussi importante que la narration, mais lorsque je suis lectrice je suis plus susceptible de lire un texte uniquement doté d’une écriture romanesque que son contraire.
La littérature, c’est vraiment l’articulation d’une forme et d’un fond. Ensuite, c’est la puissance de l’alchimie entre ces deux paramètres, l’écriture et un ou des motifs ou sujets, qui va créer ou non de l’émotion en moi. (…) J’accorde autant d’importance à la voix et au style. »
Sur l’écriture de scènes de sexe
« Je n’ai pas l’impression de changer de méthode pour les scènes de sexe. J’essaye de restituer véritablement ce qui passe par les cinq sens. Les petits détails, tels que le toucher d’une chemise et autres petites choses, peuvent être érotiques, sans forcément faire appel à la nudité. De manière générale j’essaie de faire des livres qui sont un peu comme des animaux. Je cherche à transmettre ce qui se passe dans mon ventre au moment où j’écris pour qu’il se passe quelque chose du côté du ventre du lecteur.
C’est vrai que les scènes de sexe c’est ce qui me paraît le plus difficile à écrire, ça a déjà été fait des milliers de fois et c’est souvent très raté. Je n’ai rien contre la pornographie à part que je trouve ça très ennuyeux. Donc comment faire pour écrire une scène crue sans qu’elle soit ennuyeuse, mièvre, ou les deux? Je ne saurai pas parler de méthode. Par contre, dans Pour la Peau, je me suis vraiment demandé quels étaient les écueils à éviter. Il y a un texte que je cite dans les exergues et que j’avais trouvé formidable dans son écriture de la sexualité, c’est Gordon de Edith Templeton. C’est un livre qui n’a pas été très lu et qui est très cru. »
Sur la construction d’une « oeuvre »
« Tout le monde m’avait prévenue que le deuxième roman est une étape très difficile. On a déjà été lu. Comme ce texte a vraiment été écrit dans des circonstances qui n’étaient pas prévues, je ne me suis même pas posé cette question. Elle s’est donc décalée au troisième livre et c’est vrai que même si j’ai un projet, il y a beaucoup de questions nouvelles et il y a surtout une perte de l’innocence. On se dit « est-ce que ça va autant plaire que le premier livre ? ». Cette idée de commencer à faire œuvre, il faut l’évacuer à tout prix pour ne pas écrire à destination d’un lectorat. C’est la première fois que j’ai eu un peu d’inquiétude par rapport à ça, c’est nouveau. »
Sur la construction d’une héroine et la représentation féminine en fiction
« L’art n’implique strictement aucune responsabilité, mais ça m’intéresse parfois, à mon petit niveau, de participer à changer certaines représentations : ça m’a beaucoup importé de montrer un personnage féminin toujours en mouvement, toujours en action, très désirant, avec des caractéristiques a priori entendues comme masculines selon les stéréotypes de genre, qui veut des choses et qui va essayer de les obtenir, en tout cas de tendre vers, et qui va toujours refuser de se laisser assigner à la porte de certains endroits parce qu’elle n’en a pas les moyens. Elle préfère se laisser traverser par la honte − pour moi c’est un outil de contournement possible −, accepter celle-ci comme quelque chose de désagréable, mais s’enrichir d’expériences nouvelles qui vont l’augmenter de la possession de certains codes qui pourront lui servir plus tard. Elle se pourvoit de ce avec quoi elle n’est pas née. Elle aura ensuite le choix de les utiliser ou pas.Ne serait-ce que l’idée de choix change tout. On peut être très heureux dans le dénuement le plus total et la plus grande solitude si c’est le résultat d’un choix. Ma narratrice s’arme de la possibilité de choisir. Et une fois qu’elle a obtenu le succès, qu’elle n’a d’ailleurs jamais vraiment cherché en tant que tel, elle se retire. »
Sur l’autofiction
« Je pense qu’on n’invente rien, qu’on ne fait que travestir ou corrompre ou déguiser. Plus on parle de soi, plus on parle du monde. Plus on descend profondément dans l’intime, plus on s’approche de l’universel. Je ne crois pas à la catégorie de l’autofiction. Dès qu’on écrit on fictionnalise, et en même temps on parle de soi. La fiction c’est la vérité condensée. Et le seul endroit où on ne fictionne pas, c’est en nous. Avant d’essayer de verbaliser les choses. Et encore, parce qu’en nous le travail de l’inconscient qui se joue est énorme. Je ne sais même pas s’il existe un moment, dans l’élaboration d’une pensée, dans ce qui nous traverse, affranchi de fiction. Donc je pense que l’unique lieu totalement exempt de fiction est celui du sentiment et de l’émotion. La fiction quand elle est bien faite, c’est le réel réorganisé, réagencé, recomposé, qui va droit à la justesse nue et au cœur des choses. L’intimité n’existe pas, je suis d’accord avec Blanche Gardin sur ce sujet. On a tous les mêmes vies, sentiments, émotions, questions existentielles qui nous travaillent. Ce qui varie c’est le degré de confort, la dureté de son absence, ce que l’on doit faire de sa vie pour la gagner, mais pour l’essentiel on se ressemble tous. Tout ce qui nous fait honte est d’une très grande banalité. »
Les démarches pour trouver un éditeur et l’aide d’Olivier Adam
« Olivier Adam a été une rencontre très importante (…). Il m’a toujours soutenue, depuis le début, quand je suis allée le voir à vingt ans pour savoir si je devais arrêter ou continuer, avec une bienveillance et une générosité inouïe, une élégance infinie. Quand je cherchais un éditeur pour La Légèreté, j’ai d’abord priorisé l’interlocuteur direct, celui avec qui j’allais faire le travail d’édition, avant le catalogue ou l’image de la maison : je l’ai donc d’abord envoyé à Alix Pénent, qui venait d’arriver chez Flammarion, parce que je respectais beaucoup son travail avec Véronique Ovaldé et Shumona Sinha à l’Olivier – je m’intéressais depuis longtemps à qui publiait quoi chez qui et avec qui – en dépit du fait que le catalogue de Flammarion ne m’attirait pas plus que ça. Elle m’a proposé de couper la moitié du texte, soit une des deux voix. Pour moi c’était hors de question, parce que le texte repose justement sur cette structure à deux angles de vue. Je l’ai alors envoyé à P.O.L, au Rouergue pour Sylvie Gracia, à Stock et à l’Olivier. En termes de catalogue et de charte graphique, c’était l’Olivier qui m’intéressait le plus ; c’est la maison dont je lis le plus les publications depuis très longtemps. Au bout de plusieurs semaines, je n’avais aucune réponse, j’étais malade d’attendre. J’ai parlé à Olivier de mes démarches. Il a envoyé un mot à Stock et à l’Olivier pour leur recommander d’être attentifs au courrier reçu. J’ai reçu deux coups de téléphone quelques jours plus tard. »
Interview de son éditeur Olivier Cohen, directeur des éditions de l’Olivier sur Emmanuelle Richard qu’il compare à Virginie Despentes (lors de la parution de Désintégration en 2018) :
Sources: extraits interview « Chroniques des imposteurs » mars 2019 et Lecthot.com mai 2016,
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L’écriture d’un roman selon Emmanuelle Richard : « Il y a une grosse part du processus d’écriture qui se fait malgré soi »
Emmanuelle Richard, jeune auteur de la génération Y très remarquée, a publié son premier roman adulte, La légèreté à l’âge de 28 ans aux éditions de l’Olivier, récit de l’éveil du désir adolescent sur fond de vacances d’été et de complexe social dans le milieu bourgeois de l’Ile de Ré. Suivront Pour la peau en 2016, prix Anaïs Nin, radiographie d’une passion amoureuse à la fois maudite et réparatrice avec un ex-toxico plus âgé où elle explore leur difficile apprivoisement mutuel, et Désintégration en 2018 chronique plus diverse de ses années étudiante à Paris au sein d’une colocation avec quelques fils de nantis alors qu’elle souffre de précarité et galère tant financièrement que sentimentalement. D’inspiration autobiographique, dans la lignée d’une Annie Ernaux dont elle se réclame et fascinée de rap (PNL, etc.), ses écrits s’attachent à décrire de l’intérieur, avec une grande acuité, intensité et sensorialité ses expériences d’initiation tant amoureuse que sociale et professionnelle d’adolescente puis de jeune femme, avec toujours une réflexion sur le fossé des classes sociales et de la honte ressentie sur ses origines modestes. Sa force tient notamment à son style particulièrement travaillé pour retranscrire avec précision chaque sensation et sentiment, sous une forme à la fois brute, percutante et fine. Forte de cette oeuvre déjà riche, elle partage les coulisses de son écriture et de la construction de ses romans, tant sur le fond que sur la forme, ou encore sa vision de l’autofiction et sa recherche d’un éditeur…:
Emmanuelle Richard, auteur de La légèreté, Pour la peau et Désintégration (éditions de l’Olivier)
Processus de construction de la structure du roman
« Au départ il y a une poignée de pages préexistantes au livre qui sont le fruit d’une obsession, ou d’un souvenir qui me hante et que je veux sauver, dont je veux garder une trace. Dans La Légèreté c’est la scène de rencontre entre le garçon et la jeune fille, sur la route goudronnée, le long du cirque avec les fauves. Dans Pour la peau c’est la première page qui ne contient qu’un paragraphe. Dans ce livre-ci c’était ce monologue sur l’été.
Il s’agissait presque d’écriture automatique. J’ai su tout de suite qu’il y avait un livre qui se construirait autour, mais pendant longtemps je ne savais pas quoi, et pendant près d’un an, je n’avais rien de plus, j’essayais d’écrire sans y parvenir. J’ai même pensé à arrêter complètement d’écrire, je suis passée par une grande phase de dégoût que je n’avais jamais connue concernant l’écriture. Puis j’ai laissé tombé, et ça s’est remanifesté tout seul quelques mois après. Là, j’avais la structure. Alors j’ai pu commencer à écrire − je ne peux pas commencer à rédiger un livre si je n’en ai pas trouvé la structure.Je n’ai aucune idée de comment ça travaille en moi.
Je savais depuis longtemps que je voulais faire un livre autour des motifs de l’argent et du travail, depuis l’intérieur, parce que seul ce qui est incarné m’intéresse. Je pense qu’au bout d’un moment, le monologue, le motif de l’argent et ce que j’ai pu entrevoir du succès à un tout petit niveau avec les retombées de Pour la peau, tout ça a fusionné et a fini par se structurer tout seul, je ne peux pas expliquer comment. Il y a une grosse part du processus d’écriture qui se fait malgré soi, en tout cas dans mon cas c’est toujours comme ça que ça se passe. Une poignée de pages dont je ne sais pas quoi faire ; puis ça décante, ça travaille et je trouve une structure, ou plutôt la structure apparaît. Ensuite ça dure huit mois, huit mois d’écriture à ne rien faire d’autre, puis presque deux ans sans écrire une ligne. C’est à peu près mon rythme. Je n’ai décidé de rien, simplement je le constate. »
Le travail du style et du rythme du livre
« Je passe beaucoup de temps à ponctuer (…). Je tords la phrase, j’essaie plusieurs syntaxes différentes. Et lorsque la phrase est juste, je ressens quelque chose de physique que je ne saurai expliquer. J’accorde beaucoup d’importance au rythme. La ponctuation influe aussi sur la manière dont le texte se répartit sur la page, avec des moments plus longs, d’autres plus courts, la liste d’adjectifs, etc. (…) J’aime bien que ce soit une langue assez simple, j’aime l’épure minimaliste. (…) J’aime bien aussi introduire de l’oralité et parfois malmener la langue. »
L’équilibre entre la forme et le fond
« Je peux lire un livre sans fond ni narration mais pourvu d’une écriture, tandis que l’inverse n’est pas vrai. En tout cas, dans mon travail, j’essaie toujours de trouver un équilibre. Je considère que l’un sans l’autre, ça ne fonctionne pas. Il y a un manque.
L’écriture est aussi importante que la narration, mais lorsque je suis lectrice je suis plus susceptible de lire un texte uniquement doté d’une écriture romanesque que son contraire.
La littérature, c’est vraiment l’articulation d’une forme et d’un fond. Ensuite, c’est la puissance de l’alchimie entre ces deux paramètres, l’écriture et un ou des motifs ou sujets, qui va créer ou non de l’émotion en moi. (…) J’accorde autant d’importance à la voix et au style. »
Sur l’écriture de scènes de sexe
« Je n’ai pas l’impression de changer de méthode pour les scènes de sexe. J’essaye de restituer véritablement ce qui passe par les cinq sens. Les petits détails, tels que le toucher d’une chemise et autres petites choses, peuvent être érotiques, sans forcément faire appel à la nudité. De manière générale j’essaie de faire des livres qui sont un peu comme des animaux. Je cherche à transmettre ce qui se passe dans mon ventre au moment où j’écris pour qu’il se passe quelque chose du côté du ventre du lecteur.
C’est vrai que les scènes de sexe c’est ce qui me paraît le plus difficile à écrire, ça a déjà été fait des milliers de fois et c’est souvent très raté. Je n’ai rien contre la pornographie à part que je trouve ça très ennuyeux. Donc comment faire pour écrire une scène crue sans qu’elle soit ennuyeuse, mièvre, ou les deux? Je ne saurai pas parler de méthode. Par contre, dans Pour la Peau, je me suis vraiment demandé quels étaient les écueils à éviter. Il y a un texte que je cite dans les exergues et que j’avais trouvé formidable dans son écriture de la sexualité, c’est Gordon de Edith Templeton. C’est un livre qui n’a pas été très lu et qui est très cru. »
Sur la construction d’une « oeuvre »
« Tout le monde m’avait prévenue que le deuxième roman est une étape très difficile. On a déjà été lu. Comme ce texte a vraiment été écrit dans des circonstances qui n’étaient pas prévues, je ne me suis même pas posé cette question. Elle s’est donc décalée au troisième livre et c’est vrai que même si j’ai un projet, il y a beaucoup de questions nouvelles et il y a surtout une perte de l’innocence. On se dit « est-ce que ça va autant plaire que le premier livre ? ». Cette idée de commencer à faire œuvre, il faut l’évacuer à tout prix pour ne pas écrire à destination d’un lectorat. C’est la première fois que j’ai eu un peu d’inquiétude par rapport à ça, c’est nouveau. »
Sur la construction d’une héroine et la représentation féminine en fiction
« L’art n’implique strictement aucune responsabilité, mais ça m’intéresse parfois, à mon petit niveau, de participer à changer certaines représentations : ça m’a beaucoup importé de montrer un personnage féminin toujours en mouvement, toujours en action, très désirant, avec des caractéristiques a priori entendues comme masculines selon les stéréotypes de genre, qui veut des choses et qui va essayer de les obtenir, en tout cas de tendre vers, et qui va toujours refuser de se laisser assigner à la porte de certains endroits parce qu’elle n’en a pas les moyens. Elle préfère se laisser traverser par la honte − pour moi c’est un outil de contournement possible −, accepter celle-ci comme quelque chose de désagréable, mais s’enrichir d’expériences nouvelles qui vont l’augmenter de la possession de certains codes qui pourront lui servir plus tard. Elle se pourvoit de ce avec quoi elle n’est pas née. Elle aura ensuite le choix de les utiliser ou pas.Ne serait-ce que l’idée de choix change tout. On peut être très heureux dans le dénuement le plus total et la plus grande solitude si c’est le résultat d’un choix. Ma narratrice s’arme de la possibilité de choisir. Et une fois qu’elle a obtenu le succès, qu’elle n’a d’ailleurs jamais vraiment cherché en tant que tel, elle se retire. »
Sur l’autofiction
« Je pense qu’on n’invente rien, qu’on ne fait que travestir ou corrompre ou déguiser. Plus on parle de soi, plus on parle du monde. Plus on descend profondément dans l’intime, plus on s’approche de l’universel. Je ne crois pas à la catégorie de l’autofiction. Dès qu’on écrit on fictionnalise, et en même temps on parle de soi. La fiction c’est la vérité condensée. Et le seul endroit où on ne fictionne pas, c’est en nous. Avant d’essayer de verbaliser les choses. Et encore, parce qu’en nous le travail de l’inconscient qui se joue est énorme. Je ne sais même pas s’il existe un moment, dans l’élaboration d’une pensée, dans ce qui nous traverse, affranchi de fiction. Donc je pense que l’unique lieu totalement exempt de fiction est celui du sentiment et de l’émotion. La fiction quand elle est bien faite, c’est le réel réorganisé, réagencé, recomposé, qui va droit à la justesse nue et au cœur des choses. L’intimité n’existe pas, je suis d’accord avec Blanche Gardin sur ce sujet. On a tous les mêmes vies, sentiments, émotions, questions existentielles qui nous travaillent. Ce qui varie c’est le degré de confort, la dureté de son absence, ce que l’on doit faire de sa vie pour la gagner, mais pour l’essentiel on se ressemble tous. Tout ce qui nous fait honte est d’une très grande banalité. »
Les démarches pour trouver un éditeur et l’aide d’Olivier Adam
« Olivier Adam a été une rencontre très importante (…). Il m’a toujours soutenue, depuis le début, quand je suis allée le voir à vingt ans pour savoir si je devais arrêter ou continuer, avec une bienveillance et une générosité inouïe, une élégance infinie. Quand je cherchais un éditeur pour La Légèreté, j’ai d’abord priorisé l’interlocuteur direct, celui avec qui j’allais faire le travail d’édition, avant le catalogue ou l’image de la maison : je l’ai donc d’abord envoyé à Alix Pénent, qui venait d’arriver chez Flammarion, parce que je respectais beaucoup son travail avec Véronique Ovaldé et Shumona Sinha à l’Olivier – je m’intéressais depuis longtemps à qui publiait quoi chez qui et avec qui – en dépit du fait que le catalogue de Flammarion ne m’attirait pas plus que ça. Elle m’a proposé de couper la moitié du texte, soit une des deux voix. Pour moi c’était hors de question, parce que le texte repose justement sur cette structure à deux angles de vue. Je l’ai alors envoyé à P.O.L, au Rouergue pour Sylvie Gracia, à Stock et à l’Olivier. En termes de catalogue et de charte graphique, c’était l’Olivier qui m’intéressait le plus ; c’est la maison dont je lis le plus les publications depuis très longtemps. Au bout de plusieurs semaines, je n’avais aucune réponse, j’étais malade d’attendre. J’ai parlé à Olivier de mes démarches. Il a envoyé un mot à Stock et à l’Olivier pour leur recommander d’être attentifs au courrier reçu. J’ai reçu deux coups de téléphone quelques jours plus tard. »
Interview de son éditeur Olivier Cohen, directeur des éditions de l’Olivier sur Emmanuelle Richard qu’il compare à Virginie Despentes (lors de la parution de Désintégration en 2018) :
Sources: extraits interview « Chroniques des imposteurs » mars 2019 et Lecthot.com mai 2016,