Avec Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme, Cormac McCarthy lâche un peu le western pour le roman dense et noir. Mais à travers l’histoire banale d’un homme qui tombe sur un paquet de dollars et d’emmerdes, il décrit toujours de manière impitoyable les territoires américains désolés et oubliés de Dieu.
« Il regarde la terre devenir bleue et froide. Un busard passe au dessus du lac puis il n’y a plus que l’obscurité. »
Oui, il n’y a plus que l’obscurité dans ce dernier roman de Cormac Mccarthy, Non ce pays n’est pas pour le vieil homme. « L’obscurité du dehors », pour paraphraser le titre de son premier livre, et surtout celle du dedans, tant ses personnages sont abandonnés dans une solitude que seule vient adoucir leur croyance en dieu, ou pour les plus vieux, aux valeurs ancienne d’une société dont on se demande s’il elle a jamais existé. Mais les ressemblances s’arrêtent là.
Il s’agit également d’un roman au caractère cinématique. Ses chapitres séquencés sont découpés comme un film, entrecoupés des réflexions du shérif qui le rythme. On ne s’étonnera pas alors, de voir ce roman déjà optionné par Hollywood et les frères Cohen, avec Tommy Lee Jones dans le rôle du shérif. Avec Non ce pays n’est pas pour le vieil homme, McCarthy impose plus que jamais son style âpre et dur comme la terre qu’il décrit. L’auteur n’a rien perdu de son talent à décrire les territoires désolés, abandonnés de dieu, les badlands des Etats-Unis, ces terres infertiles où tout peut arriver.
Un monde où même la compassion se paie
Et tout arrive, justement, à Llewelyn Moss, vétéran du Vietnam (le roman se passe dans les années 70) et chasseur, le jour où il tombe sur les restes d’un carnage entre trafiquants de drogue. Au milieu d’une bonne demi-douzaine de cadavres, dont un agonisant, gisent quelques millions de dollars, qui l’aideront certainement à changer de vie et à quitter le camp de caravane où il végète avec sa jeune femme. Mais Moss n’est pas le type totalement insensible qu’il semble être. Il agit sur un coup de tête, et il reviendra sur ses pas, taraudé par la culpabilité d’avoir laissé un homme mourant derrière lui. Malheureusement, il devra payer cet élan d’humanité au prix fort (tout un symbole). Pourchassé par une meute de tueurs mexicains, traqué par un psychopathe impitoyable, il va devoir changer de vie, changer tout court… D’une histoire fort simple, McCarthy fait un hymne. Un hymne à la violence, mais aussi la chronique d’une époque, les années 70, où les Etats-Unis commencent à basculer. L’ombre du Vietnam et de ses traumas, planant constamment sur le livre. Mais l’auteur va plus loin, il continue ici son exploration d’un pays qui finit comme il a commencé : dans le sang (voir : The Road son dernier roman non traduit, une fuite en avant post-apocalyptique ou McCarty boucle ce qu’il avait commencé avec Méridien de sang.)
Apocalypse Now
On referme ce livre sur un sentiment de fin du monde, le même qu’à la vision du fameux film post-Vietnam de Francis Ford Coppola. McCarthy se fait l’écho de la totale incompréhension d’une génération, celle de nos aînés, envers une société devenue folle, et son shérif devient le porte parole de la nostalgie assumée d’un passé où tous semblait plus simple, même si ce n’était déjà plus le cas.
L’impression aussi d’un pays bâti sur la mort et le sacrifice de millions de personnes, et qui paie finalement ses dettes, avec quelques siècles de retard. Un poids historique palpable, ajouté au sentiment de solitude de personnages uniquement décrit à la troisième personne du singulier (sauf quant il s’agit des réflexions du shérif) qui pèse sur tout le livre et au final sur son lecteur. Prenez garde, si les livres capables d’influencer votre humeur de manière radicale sont rares, celui-là en fait partie. Non décidément, « Ce pays n’est pas fait pour le vieil homme », et la route au dehors semble de plus en plus obscure.
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