Professeur de philosophie, Philippe Granarolo a publié depuis 1993 une douzaine d’ouvrages spécialisés. Il y a trois ans, il décide d’abandonner l’écriture philosophique pour se consacrer à l’écriture romanesque. C’est le premier confinement de mars 2020 qui lui inspire son premier opus Le COVID de l’apocalypse, paru en mai 2021 aux éditions Librinova. Il s’agit d’une fiction d’anticipation glaçante qui mêle pandémie COVID, montée des extrémismes, des théories du complot et de la désinformation. Dans le contexte du virus COVID-19 et des mouvements Black Lives Matter, des organisations racistes se mobilisent en Europe et outre Atlantique pour protéger « la race blanche ». Un milliardaire américain leur prête main forte et finance des virus mortels, touchant uniquement les personnes de couleur.
C’est lors d’une nuit de mars 2020, alors que nous vivions le premier confinement, que Philippe Granarolo fait un rêve extrêmement troublant, celui d’une fiction qui se déroulait entre 2025 et 2035. Ce n’était nullement la vague image d’un futur roman, mais un rêve d’une extraordinaire précision. En se réveillant, il n’a eu qu’à se précipiter dans son bureau pour taper sur le clavier de son ordinateur quatre pages du synopsis de cette fiction de la famille des récits dystopiques. Il raconte la genèse de son roman et son projet éditorial:
Mon rêve ne me laissait aucun choix : il me fallait abandonner la rédaction du roman historique que j’avais commencée pour me lancer dans l’écriture de la fiction qui avait envahi mon esprit. M’était aussi apparu en rêve le personnage principal de ma fiction : un milliardaire américain, allié aux suprémacistes, qui finançait des laboratoires afin de créer un virus n’épargnant qu’une partie de la population mondiale. J’ai ensuite passé quelques mois à rassembler une documentation précise sur l’état des connaissances biologiques concernant les défenses immunitaires et leur lien avec des structures particulières de l’ADN. Le synopsis que j’avais rêvé a rendu l’écriture du roman très aisée, et les personnages que j’avais dessinés m’ont imposé leur présence et dicté leurs comportements. En moins de trois mois, j’avais terminé l’écriture de ma fiction. Le premier titre que j’avais lui aussi rêvé était L’ADN du chaos. Peut-être aurais-je dû le conserver. En réalité le COVID n’est pas le motif central de ma fiction. Ce qui est en jeu dans ma dystopie, c’est la montée des extrêmes, la puissance des complotismes, le triomphe des Fake News. Comme tous les auteurs de dystopies qui m’ont précédé, que ce soit Aldous Huxley à propos des dangers de la biologie dans Le meilleur des mondes, ou George Orwell qui nous alerte sur la puissance des techniques totalitaires dans 1984, ma dystopie a pour ambition, au-delà du plaisir qu’on peut prendre à la lire, d’ouvrir les yeux de nos contemporains sur les dimensions les plus dangereuses des technologies dont nous disposons.
Le COVID de l’apocalypse, je l’ai signalé, est né d’un rêve : est-ce à dire qu’il a une dimension prophétique ? Seul l’avenir le dira. En ce qui me concerne, je ne me prends nullement pour un prophète, mais pour un observateur de notre société et de ses dérives. En ce sens, le romancier que je souhaite devenir n’a pas éliminé le philosophe que je continue à être. Mais il vise à atteindre le grand public, ce que ne permet guère un ouvrage philosophique. S’il y parvient, il peut espérer modifier notre regard au moins autant et sans doute bien davantage qu’un texte abstrait dont la lecture est inévitablement réservée à des initiés.
L’extrait qui suit vous donnera un aperçu de ma fiction, de ses personnages, et des lieux où elle se déroule. Que ce soit aux États-Unis, dans le désert du Mojave ou à Boston, que ce soit en Écosse, à Lausanne, à Reykjavik ou à Tel-Aviv, la description des lieux où se déroule ma fiction, donne corps au roman. Les multiples rebondissements de l’intrigue ne devraient pas laisser le lecteur indifférent.
Interview auteur :
Le philosophe que vous êtes s’engage-t-il dans une direction entièrement nouvelle avec cette fiction ?
Comment pourrais-je rompre avec la philosophie dans laquelle je baigne depuis mon adolescence ? Non, je n’ai pas l’impression d’avoir vécu une mutation ou subi une métamorphose. Ceux qui connaissent mes écrits philosophiques ne seront pas surpris par ce qu’ils découvriront en lisant ma dystopie Le COVID de l’apocalypse. Quant à ceux qui ont soit assisté aux soirées du Café-Philo que j’ai animées pendant 19 ans, soit qui les ont visionnées sur le site www.cafephilo.com, ils retrouveront eux aussi dans ma fiction les « obsessions » qui sont les miennes depuis bien longtemps : la puissance des complotismes, l’empire des Fake News, les dangers de l’Intelligence Artificielle, entre autres. Une grande différence existe bien entendu entre mes conférences, mes Cafés-Philo, et le roman que je propose : Le COVID de l’apocalypse est un véritable roman qui respecte toutes les règles du genre, et en aucun cas un essai philosophique austère. C’est un roman qui doit permettre au lecteur d’éprouver tous les plaisirs qu’on attend de la lecture d’une fiction.
Un philosophe est un être de raison, alors qu’on attend du romancier une grande imagination. Avez-vous une grande imagination ?
Ma réponse est non, et tant pis si je déçois mes lecteurs par cette réponse. Mais je peux aussitôt la corriger en citant un philosophe qui a écrit de très belles pages sur l’imagination : je veux parler de Gaston Bachelard. Pour lui, l’imagination est moins la faculté de créer des images que la faculté de « déformer » les images. Si Bachelard a raison, alors je peux prétendre avoir une certaine imagination : les personnages que je mets en scène ne sont pas entièrement fictifs, ils sont presque tous inspirés de personnages réels, de scientifiques, d’idéologues, de responsables politiques. Je les ai bien entendu « déformés », retravaillés, afin qu’ils puissent participer aux aventures auxquelles je les convie. J’ajoute que le lecteur trouvera peut-être un certain plaisir à identifier les hommes et les femmes réels qui ont inspiré la création de mes personnages.
Y a-t-il un style du romancier Philippe Granarolo ?
Il y a quelques années, j’ai publié un « Journal » imaginaire : le Journal que Friedrich Nietzsche aurait tenu lors de ses séjours à Nice et en Italie, entre 1876 et 1888. L’un de mes amis m’avait alors dit : « Philippe, ce livre est la transition avec les futurs romans dont tu m’as parlé ». Peut-être avait-il raison : comme dans le « Journal » imaginaire de Nietzsche, Le COVID de l’apocalypse présente une suite de paragraphes précédés de la date des événements et des lieux où ils se déroulent. Est-ce là le style du romancier que j’aimerais devenir ? L’avenir le dira.
Extrait choisi par l’auteur
Michaël installa Peter dans la plus belle chambre du second étage du château, d’où l’on jouissait d’une magnifique vue sur le domaine. À l’Ouest s’étendait un espace forestier parfaitement entretenu où alternaient pins sylvestres et bouleaux. Entre le château et la forêt, des rangées de bruyères aux fleurs violettes formaient comme un tapis. Le long des rives, dans la vaste prairie que les jardiniers travaillaient tout en lui conservant un aspect sauvage, émergeaient du gazon boutons d’or et cirses roses, dont les couleurs offraient par contraste aux eaux du lac des teintes ravissantes. Les yeux remplis de ces belles images, Peter n’eut aucun mal à s’assoupir. Après quelques heures de repos, il rejoignit son hôte et les deux hommes déambulèrent dans la propriété en échangeant leurs informations. Ils se félicitèrent de partager le même diagnostic : l’explosion de haine qui s’amplifiait d’année en année envers la race blanche avait l’heureux effet de rallier à leur cause quantité d’individus jusqu’alors timorés ou indifférents. Aux États-Unis comme en Europe, la vraie difficulté était depuis deux ans d’encadrer les nouveaux venus alors qu’ils avaient l’un comme l’autre tant peiné pour étoffer leurs maigres troupes dans la dernière décennie du XXe siècle […]
Quand le soleil jeta ses derniers feux à l’ouest du lac, irradiant sa surface de nuances dorées qu’on ne peut admirer nulle part ailleurs qu’en Écosse, les militants païens de Michaël se regroupèrent entre les piliers du temple solaire. Le leader anglais l’avait fait bâtir selon les règles les plus précises du calendrier astronomique, si bien que les deux plus hautes colonnes formaient avec le fronton un superbe cadre entre les bords duquel le grand astre plongea pour laisser place à la nuit la plus courte de l’année. De vieux poèmes gaéliques dont Peter ne comprenait que très approximativement le sens furent récités par les militants. Puis un feu fut allumé au centre de la dalle, autour duquel s’installèrent en cercle les participants, qui répondaient « présents » à l’énoncé du nom de leurs camarades disparus. Une profonde émotion était palpable, dont Peter ressentit intensément les vibrations, lui dont la sensibilité était loin d’être le caractère dominant. « Michaël ne m’en voudra pas si je m’approprie ce superbe rituel », pensa-t-il, visualisant ses troupes réunies les soirs d’été devant le ranch californien. Des chants ancestraux résonnèrent pendant plusieurs heures, dont tous les militants connaissaient chacune des paroles, ce qui là encore l’impressionna. Il faisait nuit noire quand la cérémonie s’acheva et que Michaël le reconduisit jusqu’au deuxième étage en lui souhaitant un repos mérité. « Merci pour tout, cher Michaël, vous m’avez fait vivre un moment très fort que je ne suis pas près d’oublier », lui dit-il en refermant la porte de sa chambre.
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