Philippe Vilain, extrait de « Pas son genre », anecdote d’un « suiveur/stalker ordinaire » 🙂
« Lorsque j’étais tout à fait sûr de m’ennuyer, il m’arrivait de suivre ds femmes, des inconnues que le hasard plaçait sur mon chemin, qui ne plaisaient pas forcément, mais m’intriguaient assez pour me faire imaginer leur vie et ce qu’il adviendrait de la mienne, de vie, si jamais j’osais les aborder, si j’avais la chance de leur plaire. »
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Jérôme Attal est un grand admirateur de la « beauté fugitive à laquelle le regard s’attache dans le tohu-bohu des boulevards« . Son journal en ligne regorge de saynètes de ces rencontres spontanées qui l’émerveillent toujours autant comme si c’était la première fois. Son premier roman (« L’amoureux en lambeaux ») aussi en témoignait. Un de ces moments qu’il sait si bien saisir via un extrait de son journal en ligne du 05/02/2013 (http://jeromeattal.net/journal-2013):
« (…) je croise une superbe passante, une jolie blonde qui mérite bien un poème. Un face à face dans le vent. Je ne me retourne pas sur elle car c’est un comportement plutôt vulgaire, que je déteste voir chez les autres hommes, quand ils se retournent sur des filles dans la rue (ou les sifflent impunément). J’aurais envie de boxer ces types. Si j’avais foi en ma force physique (enfant, j’aurais dû être plus assidu au judo) et que la justice (divine, et, de mon pays) soit toujours de mon côté, je provoquerai des types en duel à chaque coin de rue.
Donc, je ne me suis pas retourné sur cette superbe jeune femme blonde qui s’engouffra dans la rue Paul Hervieu. De toute façon, les filles croient toujours que vous vous retournez sur leur passage pour mater leur cul, alors que c’est juste pour prolonger un peu le moment.«
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Extrait de « Galanterie française », un essai intéressant de Claude Habib, professeur de littérature à l’université, sur l’histoire de la galanterie française, « inventée » au début du XVII siècle sous Louis XIV. Elle y soutient notamment que ces nouveaux rapports femmes ont permis à ces dernières d’améliorer la condition de la femme, en terme de liberté et de droits (rôle civilisateur de la femme développé à cette période, comme l’a démontré initialement le sociologue allemand Norbert Elias). Certains passage de sa thèse lui auront valu les foudres des féministes**.
A chaque instant il se joue dans les rues françaises une appréciation souriante des femmes par les hommes et des hommes par les femmes. La rue est la scène d’un jugement instantané, éphémère qui porte sur l’apparence mais qui ne s’y réduit pas : l’esprit entre en jeu en même temps que le désir (sans doute est-ce trop dire : un intérêt naissant, l’éveil d’un regard). En quatre siècles, la galanterie a diffusé le corps social. Elle ne vit plus seulement sous les lambris. Descendue de la cour des rois aux salons de la bourgeoisie, elle ressurgit toujours plus bas : elle est sur le pavé ou même dans le métro. Des ruelles à la rue, le même respect se professe, le même charme se répand. La rue est le vivier de la galanterie dans un monde moderne qui a cessé d’y croire. L’éphémère est son élément : le compliment est une invention de l’instant.
Au contraire de l’auteur qui compose à loisir, le galant improvise. C’est sur le champ qu’il faut trouver une manière de faire entendre à une inconnue l’impression qu’elle a causée. La galanterie est un style : une manière particulière d’accoster les passantes ou de sourire aux inconnues. Il s’agit de faire sentir que le séducteur – plus séduit que séducteur- est toujours prêt à lâcher prise. C’est donc souvent un homme qui plaisante, c’est toujours un homme qui n’insiste pas. Il ne cherche pas le consentement de la femme – terme trop lourd qui pèse son poids d’engagement. Le galant homme cherche en toute occasion l’agrément féminin – c’est une visée plus diffuse. »
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La fascination pour les visages et silhouettes de la rue alimentent fantasmes et frustrations avec en filigrane la quête impossible du visage aimé, chez Yann Moix, dans son très beau et poétique roman « Anissa Corto »:
« La foule où se multiplient les femmes de ma vie. Les passantes ne donnent jamais d’amour, mais seulement la sensation fugitive et grave d’avoir gâché sa vie loin des plus elles. Il faut marcher longtemps pour rencontrer son destin. Toute cette marchandise de femmes à aimer, en contrebande, là, dans leur vitesse piétonne, qu’il faudrait approcher, à qui il faudrait faire des promesses. La poésie est prête, inculquons-la au corps des femmes évasives et pressées, celles, floues à jamais, que nous ne croiserons qu’une fois. Dans trente ans, quarante, elles seront mortes quelque part, enterrées aux côtés d’un vieil amant cancéreux. Il aura passé sa vie avec celle qui ne fut pour nous qu’une couleur, un parfum au pas rapide, une pierre translucide sous l’averse, une jupe d’été à la terrasse d’un café. »
« Nous marchons dans les rues, c’est l’hiver, la nuit tombe. Des femmes courent sur le pavé qui luit. Elles rentrent chez elles, nous ne saurons pas où elles habitent. Nous les croisons, les gardons un instant en mémoire mais déjà elles se modifient dans le souvenir, s’abîment en nous, et nous les perdons à jamais. Le lendemain, au lever, une dernière secousse les ramène à nous, nettes et fraîches, qui précède un trou noir irrémédiable. Nous n’aurons pas assez de notre vie pour les rencontrer de nouveau. Le hasard est décevant. C’était hier qu’il fallait tenter sa chance, l’approcher, trouver les mots sous la pluie. Nous continuerons d’avancer de femme en femme, de chimère en chimère, et c’est dans la solitude que nous saurons les aimer, les faire rire et les épouser pour toujours. (…) La femme de notre vie va rejoindre la vie d’un autre, sans se douter une seconde que nous étions sur le point de modifier son avenir, de tout sacrifier pour son allure inédite, son existence inconnue, sa bouche nourrie de mystères et son regard dangereux. Les bêtes choisissent par instinct la plante qui leur est favorable ; nous allons spontanément vers les femmes dont nous devinons qu’elles sauront, mieux que quiconque nous faire souffrir. C’est cette moue-là, ce nez-là, ces pommettes-là que nous avons choisis pour pleurer. Mais les femmes que nous rêvons d’aborder n’existent jamais : elles sont des corps remplis de nos attentes, des vies nourries par nos névroses. Exagérées par les circonstances, multipliées dans leur beauté par la nouveauté, elles se détachent de la foule, spécialement pour nous plaire, quand nous devinons qu’elles recèlent comme les autres, des trésors de déceptions, de normalité, de banalité. Nous les voyons en relief, homothétiques, puissantes : un relief existe pourtant où elles ne sont que ce qu’elles sont vraiment, des femmes perdues qui ont besoin d’amour et d’enfants et de paix. Solidifiées un temps dans notre cœur, compactes, durables, elles s’effritent doucement, nous les rendons à leur futur, nous nous désintéressons d’elles aussi vite qu’elles nous avaient intéressé. Elles s’éloignent et, déjà d’autres, plus belles encore, plus mystérieuses, s’avancent en souriant.
Nous marchons dans les rues, c’est l’hiver, la nuit tombe. Les rues ont un rapport étroit avec la mélancolie. Solitaire, quitté par l’amour de notre vie, nous y errons. Dans la rue, les visages sont volatiles (…) Ils viennent, reviennent, s’estompent et s’effacent, se multiplient, disparaissent. Ils se reproduisent entre eux; ils ne sont jamais le visage de l’être aimé. La foule avance, sourde à notre chagrin. La masse des gens sans cesse se renouvelle, inépuisable. Elle n’offre que des corps inédits, inventés spécialement pour diluer dans l’infini la femme qu’involontairement nous cherchons. (…) J’attendais de chaque coin de rue, comme la marée eût déposé sur le rivage un baleineau échoué, qu’il me livrât le visage d’Anissa. »
« Il passe souvent plus d’émotions, de promesses, de joie dans un échange de regards furtif que dans le commerce des corps qu’installe l’habitude de trente ans de mariage. Si l’on avait pu arrêter le cours du temps, ausculter ces regards croisés et approfondir cette bouffée de bonheur contenue que deux êtres étrangers l’un à l’autre ont partagé sans dire un mot, figés dans leur timidité, l’absurdité d’une porte trop vite refermée ou l’envie de rester sur cette sensation pour toujours, on se serait aperçu que l’amour, n’ayant eu pour s’exprimer que la durée d’un souffle, a concentré tous ses détours, ses jeux, ses extases et ses douleurs dans une seule et même palpitation, comme un pincement de cœur originel, indéfiniment renouvelable. »
« Ce visage inconnu avant de s’émousser en moi, puis de s’éteindre à jamais, m’agaçait quelques heures, parfois quelques jours. Il me faisait souffrir comme une promesse non tenue. Chaque rencontre, même fugitive, charrie son deuil à faire. Je ne pleurais pas seulement un être que je ne connaissais pas, mais un être que je ne pourrais plus jamais connaître. J’étais mélancolique à cause d’une inconnue, d’un corps qui s’en était retourné parmi les corps, deviendrait indiscernable dans la multitude qui se l’était approprié comme une gueule, un corps inimaginable dés que j’essaierais d’en redessiner les traits. (…) Peu à peu, le regard de l’inconnue, sa bouche, son nez s’abîmeraient en d’autres traits mieux connus de moi, des pommettes et des mentons familiers qui me servaient d’étalon trop précis, trop contaminé, pour retrouver ceux de mon inconnue, et me les faisant perdre. »
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Extrait de « Le démon » d’Hubert Selby Jr et de son insatiable coureur de jupons Harry, sous l’emprise de ses bas instincts et pulsions, dont la rue est le terrain de chasse favori !
« Les couleurs printanières qu’Harry préférait se trouvaient sur les robes vives des femmes qui arpentaient les rues, leur corps enfin libérés du carcan des lourds vêtements d’hiver, les jupes légères dévoilant la courbe du mollet, moulant leurs formes épanouies, leurs yeux brillants, leurs visages souriants tandis que la brise gonflait leurs cheveux, plaquait les robes sur le doux arrondi du ventre et sur l’intérieur des cuisses, là où elles se rejoignaient au niveau du mont de Vénus. Aaaaaah printemps, printemps, saison bénie où la terre et toutes les créatures renaissent à la vie, et où l’imagination des jeunes gens vagabonde. »
*Après la diffusion de plusieurs documentaires dont « Femmes de la rue » de la belge Sofie Peeters en 2012 à Bruxelles, les femmes dénoncent ces regards insistants, ces interpellation gênantes voire agressives et parfois les gestes déplacés qu’elles subissent au quotidien, les contraintes vestimentaires que cela impose pour pouvoir marcher en paix dans les rues des grandes villes en particulier, de New-York à Paris…
D’autres pensent au contraire que cette réaction et condamnation sont exagérées.
** « La Galanterie française a été bien reçue, en 2006, puis elle est revenue dans l’actualité, avec l’affaire Dominique Strauss-Kahn, en 2011. L’historienne américaine Joan Scott y voyait le syndrome de l’indulgence française pour la séduction donc pour le viol. » (extrait interview de Claude Habib au JDD, 05/03/14)
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