Voici venir les rêveurs (« Behold the dreamers » en VO, voir ci-dessous comment le titre a été retravaillé à des fins marketing*) d’Imbolo Mbué paru en France à la rentrée littéraire de septembre 2016, traduit chez Belfond. Le premier roman de cette américaine originaire du Cameroun (Limbé, émigré depuis une dizaine d’années) âgée de 36 ans est un petit phénomène d’édition puisqu’il lui a valu de signer un contrat d’un million de dollars avec Random House après une rude bataille à Francfort et de bénéficier en prime d’une belle recommandation de Jonathan Franzen* qu’elle adule et avec qui elle partage le même éditeur. Le Washington Post recommande même le livre et sa sagesse humaniste à Trump pour contrer sa xénophobie !
De son coté Belfond la qualifie de « nouvelle voix afropolitaine« , un qualificatif introduit par la nigéro-ghanéenne Taiye Selasi (Le Ravissement des innocents) en 2005 et de plus en plus en vogue avec pour chef de file la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie (Americanah), Dinaw Mengestu d’origine éthiopienne (Les Belles Choses que porte le ciel, 2007) ou la zimbabwéenne NoViolet Bulawayo( Il nous faut de nouveaux noms, 2014). L’adjectif -controversé- désigne les (descendants d’) immigrés africains (anglophones) aux Etats-Unis, devant jongler, parfois avec difficultés, entre leurs deux cultures et avec la précarité économique.
Sur les mêmes thématiques, on pensera en France à Fatou Diome, Mabanckou, Calixte Beyala ou Léonora Miano, pour n’en citer que quelques uns. Ces nouvelles « écritures noires » de langue anglaise se distinguent pour autant des plumes afro-américaines. Imbolo s’inscrit donc dans cette tradition en nous contant les tribulations (inspirées de son expérience) d’un jeune couple venu de Limbé, ville portuaire de la côte Ouest du Cameroun, prêt à tout ou presque pour vivre son « rêve américain ». Au passage, elle pose un regard lucide mais empathique sur cette société paradoxale pas toujours à la hauteur de ses idéaux, de ses clivages et des liens qui se tissent malgré tout, tout en mesurant l’écart entre rêve et réalité.
Ecrit lors d’une période ardue de sa vie d’immigrée aux US, alors qu’elle enchaînait les petits jobs tout en étudiant (pour un master en éducation et psychologie à l’université de Columbia en cours du soir), elle s’est brutalement retrouvé au chômage lors de la récession économique après la crise financière des subprimes courant 2007. C’est aussi à cette période en 2009, qu’Obama, de père kényan, est élu président : un symbole fort qui ravive de grands espoirs en particulier auprès des Noirs américains de toutes origines, comme le héros de Mbué le soulignera (voir ci-dessous).
A travers Neni et Jende Jonga, un couple de camerounais, que l’on devine aux abordsde la trentaine, partis tenter leur chance à New York, Imbolo Mbué évoque le choc entre deux cultures et deux mondes opposés, d’un côté celui de la pauvreté, du manque de travail, de la corruption, mais aussi la solidarité, la joie d’être ensemble, et de l’autre, l’opulence, le confort, les lumières mais aussi la dureté d’une vie où il faut se tuer à la tâche pour réussir et assez souvent la solitude.
A New York, il ne fait pas toujours bon vivre comme nos deux attachants héros en feront l’expérience. Toutefois, à travers leurs souvenirs, leur nostalgie, les comparaisons, les coups de téléphone qu’ils donnent et qu’ils reçoivent, on revient régulièrement à Limbé.
Une culture de solidarité et de générosité
Ils sont d’ailleurs très souvent sollicités par leurs familles qui réclament de l’argent. Une situation qui fait écho au récit qu’en faisait Fatou Diomé dans Le Ventre de l’Atlantique, en évoquant le statut des « venus de France » vus comme des « vaches à lait » par leurs proches et compatriotes restés en Afrique.
Le rapport à l’argent est en effet assez différent entre une culture américaine et occidentale plutôt individualiste et une culture africaine où l’altruisme et la générosité sont des valeurs centrales quitte à conduire à une pression pas toujours simple à gérer. Mbué fait ainsi remarquer à travers la voix de la religieuse Natasha: Comme cela est triste de traiter nos amis dans le besoin comme nous traitons nos ennemis. D’oublier que chacun de nous pourrait un jour devoir également chercher un toit.
Les Jonga bénéficient ainsi du soutien de leur cousin et de son collègue avocat Boubacar, de voisines qui jouent les baby-sitters bénévoles, etc., tout un réseau d’entraide naturel en particulier dans le parcours de combattant pour obtenir leurs papiers dont elle nous montre au passage les ressorts et les contradictions : Y aurait-il eu un moyen de convaincre Mr Edwards qu’il était un honnête homme, un très honnête homme, en toute vérité, mais qu’il racontait mille et un mensonges à l’immigration simplement pour devenir un jour citoyen des États-Unis et passer le restant de sa vie dans cette grande nation ?
« Melting pot » vs « Salad bowl »
La petite famille vit à Harlem dans un appartement miteux et fréquente la communauté afro-américaine. Très vite ils constatent que plutôt qu’un melting pot, la société américaine repose plutôt sur l’entre-soi et un communautarisme assez fermé avec les préjugés raciaux qui vont avec: « Rien ne pouvait l’embarrasser davantage que des noirs qui se ridiculisaient en affichant le comportement que les blancs attendaient » confie Neni notamment à propos des afro-américains (ce qui sous entend qu’elle se distingue d’eux). Elle n’approfondit pas plus sa réflexion malheureusement.
Les sociologues parlent d’ailleurs désormais plutôt de « salad bowl » pour décrire la co-existence de diverses communautés raciales aux Etats-Unis comme les ingrédients d’une salade composée qui se tiennent les uns à côté des autres mais ne se mélangent pas.
D’ailleurs Neni ne semble pas regretter cet état de fait et s’y sent même plutôt à l’aise (la présence de blancs la mettant mal à l’aise), un discours qui renouvelle le « vivre ensemble » qui nous semble si difficile à mettre en pratique en France : Les gens restaient avec leurs semblables. Même à New York, même dans cette ville de mélanges, les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, les riches et les pauvres composaient leur petit cercle de gens comme eux. Et quel mal y avait-il à cela ? Il était bien plus simple de faire ainsi que de dépenser son énergie à tenter de se fondre dans un monde auquel on n’était pas censé appartenir. Voilà ce qui rendait New York si merveilleux : il y avait là un monde pour chacun. Le respect semble être la clé.
Pour autant, elle semble aussi ressentir une sorte d’amertume quant au sentiment d’infériorité qu’elle paraît éprouver, une sorte de complexe face aux blancs pour qui elle ne sera jamais assez « bien » ou digne d’être leur égale, de par sa couleur de peau mais aussi son accent: « (…) elle-même n’avait pas un seul ami non africain et ne s’était jamais liée d’amitié, de près ou de loin, avec une personne blanche. Etre dans la même classe que des Blancs, travailler pour eux, leur sourire dans le bus était une chose ; mais rire et bavarder avec eux, faire attention à bien prononcer chaque mot pour ne pas s’entendre dire qu’ils avaient du mal à comprendre son accent en était une tout autre. »
Malgré tout Imbolo Mbué n’évoque jamais directement le racisme (notamment dans les rapports entre les Jonga et les Edward) que ses personnages ne subissent pas, alors que leurs patrons les traitent bien voire les estiment, et qu’une amitié se tisse même entre leurs enfants respectifs. Même si le problème est tout de même soulevé par son cousin Boubacar qui les met en garde : La police sert à protéger les Blancs, mon frère. Peut-être aussi les femmes noires et les enfants noirs, mais pas les hommes noirs. Jamais les hommes noirs. Les hommes noirs et la police sont comme l’huile de palme et l’eau. Tu comprends ça, eh ?
Imbolo souligne ici le racisme qui vise plus spécifiquement les hommes noirs historiquement « craints » au nom de toutes sortes de prétextes et préjugés, ce qui rappelle la réflexion de Laferrière quand il évoque leur lynchage durant la ségrégation qui s’accompagnait d’une castration symbolique sur leur cadavre.
Dominants et dominés : quel lien possible?
Mbué explore aussi cette drôle de relation entre « domestiques », « petit personnel » et patrons, par essence ambivalente et qui peut être trouble comme l’a raconté tragiquement Genet dans Les bonnes notamment. Même si d’apparence cordiale, elle reste toujours teintée d’arrière-pensées, même inconscientes, car par nature déséquilibrée et fondée sur des intérêt divergents. Qu’est-ce qu’être un « bon patron » ? Qu’est-ce qu’être un bon employé ? Sans tomber dans l’exploitation, la soumission aveugle, le mépris, l’envie ou le ressentiment ?
Pour Jendé, c’est avant tout la reconnaissance et l’admiration qui dominent pour son patron Clark et sa vision traditionnelle de la réussite sociale basée sur un capitalisme/libéralisme dur en opposition à son fils désireux d’autres horizons (cf. son projet de voyage en Inde) qu’il ne comprend pas et méprise.
Les deux hommes tisseront progressivement une certaine complicité malgré l’immoralité du second : « Sans même avoir besoin de parler, un lien solide s’était tissé entre eux- ils étaient deux hommes unis par ce secret, se reposant l’un sur l’autre pour chaque jour avancer et parvenir à remplir les objectifs du quotidien et de la vie, par le truchement de cette relation qu’ils avaient forgée depuis presque un an qu’ils arpentaient les autoroutes et perdaient leur temps dans les bouchons. Ce lien était aussi solide que pouvait l’être un lien entre un homme et son chauffeur, pas suffisamment, cependant, pour s’aventurer sur des terrains glissants. »
Jendé se refuse à le juger tant pour ses adultères que pour son travail de financier contribuant pourtant à l’effondrement économique qu’il subira de plein fouet : « Son travail était de conduire, non d’entendre ». Politique de l’autruche. Il tient à rester à sa place et à conserver sa confiance comme il le rappelle d’ailleurs à son épouse qui tend à compatir un peu trop au mal-être de l’épouse -trompée- du premier qui se sent délaissée. Il lui recommande ainsi de ne pas se mêler de leurs affaires. On voit aussi transparaître derrière leurs attitudes une certaine solidarité masculine et féminine, transcendant les barrières sociales et raciales. Se pose aussi en filigrane la question de l’éthique vs. la fidélité/loyauté salariale. Malgré leur volonté de rester en dehors, le jeune couple se retrouvera, malgré eux, au centre du drame qui se joue dans cette famille, et même instrumentalisés. Plus d’un demi-siècle plus tard post ségrégation, on voit l’évolution du rapport entre employeurs blancs et « domestiques » noirs, depuis l’époque décrite par exemple dans La couleur des sentiments où les nannies afro-américaines (du Sud) d n’avaient pas le droit d’utiliser les mêmes toilettes que leurs riches maîtresses qui les méprisaient !
Ainsi, en dépit de leurs vies qui se déroulent en parallèle, l’auteur montre que des points de convergence parviennent parfois à se créer, donnant lieu à une forme de relation -fragile et ambiguë toutefois- entre ces « castes » qui semblent de prime abord étanches. La famille Edward est bien sûr la famille riche dont les Jendé dépendent et qui va les faire souffrir, mais ils font preuve d’une certaine bonté et de gentillesse envers ces derniers.
Radioscopie de la famille américaine vue par des yeux africains
Les immigrants africains et en particulier Neni jouent aussi le rôle d’un « Candide » Voltairien en se livrant à des observations semi-anthropologiques/sociologiques sur les différents milieux qu’ils côtoient de près ou de loin, en particulier la famille dysfonctionnelle des Edward, archétype américain, consacré dans Les corrections de Franzen, œuvre qui a inspiré Mbué* :
Qui sait comment ils mènent leur mariage ? Le mariage entre les gens de ce pays est une chose très étrange, Bo. Ce n’est pas comme chez nous, où un homme fait comme bon lui semble et la femme lui obéit. ici, c’est l’inverse. Les femmes disent à leur homme ce qu’elles veulent et les hommes le font, parce qu’ils disent : « Epouse heureuse, vie heureuse.
Mais derrière les différences, se cachent aussi des analogies inattendues comme elle le remarque avec humour :
Ah, Neni ! s’exclama Jende en riant. Les femmes américaines n’utilisent pas de philtre d’amour !
– Tu crois ça ? répondit Neni en riant, elle aussi. Moi, je te dis que si, oh. Elles appellent ça la »lingerie ».
Un enthousiasme à toute épreuve : Croire au rêve américain envers et contre tout
Ce qui marque aussi dans ce portrait de personnages c’est leur résistance à la démoralisation et leur refus de renoncer malgré les obstacles parfois massifs qu’ils doivent affronter. Ils cultivent ainsi un optimisme forcené en suivant la devise : « Même quand la situation est critique, ne pense qu’à de bonnes choses. »
Jende apprend notamment que sa demande d’asile est rejetée, lui et sa famille vivent alors dans l’angoisse d’être expulsés. Puis s’ensuit la chute de Lehman Brothers et son licenciement le réduisant à faire la plonge dans plusieurs restaurants pour un salaire de misère à se casser le dos.
De son côté Neni, jongle entre ses études de pharmacie et ses jobs d’auxiliaire de vie et de bonne à tout faire.
Les restrictions et rationnements budgétaires font aussi partie de leur quotidien alors que le coût de la vie leur est parfois insupportable, en particulier lorsqu’ils le comparent à leur terre natale : « Elle avait toujours du mal à ne pas être écœurée chaque foir qu’elle dépensait l’équivalent de 5 000 ,00 francs CFA pour acheter une livre de crevettes…Soit le loyer mensuel pour une chambre avec salle de bains et toilettes communes sur le palier pour tous les résidents d’un –caraboat building »
Elle mesure aussi avec regret la différence dans les rapports économiques et « le plaisir de se promener dans le marché de Limbé pour pouvoir marchander » lui manque. C’est l’une des rares nostalgies exprimées pour son pays (en dehors bien sûr de la tristesse d’être séparés de leurs familles respectives). Car ce qui prédomine est son ode à la limite de l’angélisme sur les merveilles américaines et de New York en particulier, qui lui semble inégalable même dans d’autres mégapoles. Même si elle est aussi paradoxale à ce sujet comme lorsqu’elle se plaint des bars New Yorkais et vante le plaisir des débits de boisson de Limbé en plein air et une autre forme de sociabilité et lance : « les gens ils pensent que tout est toujours mieux en Amérique. Mais l’Amérique ce n’est pas le meilleur pays pour tout… »
Leur exil n’est donc pas vécu comme une douleur mais plutôt comme un espoir démesuré d’une nouvelle vie, une ascension sociale pour eux et leurs enfants. Leur enthousiasme parfois naïf est ainsi contrasté avec la vision désabusée voire dépressive de ceux qui ont tout mais ne sont pas heureux et vivent dans l’incommunicabilité. Une image cliché mais qui n’en sonne pas moins juste.
Dans une interview Mbué a expliqué qu’elle avait cherché à développer malgré tout une empathie à tous ses personnages.
L’Amérique, pays de tous les possibles
Ce qui les motive plus particulièrement est la possibilité d’ascension sociale, théoriquement ouverte à tous, une différence de taille avec l’Afrique où aucune mobilité sociale n’est permise si l’on ne vient pas d’un milieu favorisé dés l’origine comme ils le soulignent :
Dans mon pays, pour devenir quelqu’un, il faut déjà être quelqu’un quand vous naissez. Si vous ne venez pas d’une famille riche, ce n’est pas la peine d’essayer.
Imbolo rappelle aussi le statut inférieur et subordonné des femmes dans une société encore lourdement patriarcale : « en tant que cadette de la fratrie, elle n’était pas autorisée à toucher au poste de télé – l’allumage et l’extinction du poste étaient un droit réservé à son père et à son frère aîné. »
Dans cette Amérique idéalisée le fils d’un immigrant africain peut devenir président comme Jenda s’en émerveille auprès de son employeur, prenant pour exemple Obama alors en pleine campagne : Regardez Obama Monsieur. Qui est sa mère ? Qui est son père ? Ils ne font pas partie de l’élite du gouvernement… Et regardez Obama aujourd’hui… C’est un homme noir sans père, ni mère, essayant de devenir président d’un pays !
Devenir de « vrais américains » : la volonté farouche d’intégration
Si eux ne parviennent pas à se fondre complètement dans le moule américain, ils espèrent en revanche de tout cœur que leurs enfants seront de « vrais américains » : qu’il s’agisse de Timba la petite fille qui naîtra aux US ou Liomi, leurs fils aîné dont elle se félicite de sa capacité d’adaptation : « il allait devenir un jour un vrai américain, espéra t-elle …liomi avait si bien adopté l’Amérique : presque rien ni personne ne lui manquait de Limbé. Il était heureux d’être à New York, excité de marcher sur ses trottoirs bondés et bombardés par un vacarme incessant. Il parlait comme un américain et connaissait si bien le base-ball et la capitale de chaque état que quiconque le croisait n’aurait pu penser qu’il était l’enfant de migrants à moitié légaux, ou même de clandestins- puisque leur avenir dans ce pays reposait sur la propension d’un juge à croire l’invraisemblable histoire de son père, soi-disant victime de persécution – et non un petit américain. »
Par contraste, les immigrés sont blessés de ne pas être reconnus comme de « vrais américains » et que l’on remette en question leur appartenance : Quand les gens leur demandaient leurs origines, ils répondaient souvent : »Oh, nous sommes de New York, des Etats-Unis. » Ils donnaient cette réponse avec fierté, croyant à leurs paroles et avouaient seulement devant l’insistance des gens que, oui, en réalité, leurs parents étaient africains. Mais eux étaient américains, ajoutaient-ils toujours – ce qui blessait Fatou et la conduisait à se demander s’il était possible que ses enfants pensent valoir mieux qu’elle, parce qu’ils étaient américains et elle, africaine ?
Ce sera finalement acculé par ses problèmes de santé, lorsque son corps ne suit plus que Jendé accepte l’idée d’un retour au pays au grand dam de Neni. Jende tente de lui faire entendre raison : « Regarde tous ces américains qui souffrent eux-mêmes – alors qu’ils sont nés dans ce pays. Ils ont des passeports américains et pourtant ils dorment dans la rue, ils vont se coucher avec la faim. Ils perdent leur boulot et leur maison chaque jour avec cette…cette crise économique. »
Mais à Limbé, il n’y a pas de travail, pas d’avenir, Neni est déchirée, d’autant plus qu’elle est une étudiant brillante, admise dans une sororité. Va –t-elle devoir renoncer à tout ça ? Elle est une femme forte, courageuse, mais elle devra se plier au désir de Jende de retrouver sa terre. Jusqu’à la fin du roman, on y croit, on espère, on souhaite de tout cœur que Neni aura gain de cause. On est émus par tant d’humanité , de rage de vivre, de réussir par le travail. Le retour au pays sera emprunt de tristesse d’avoir, en partie, échoué aux USA , mais aussi de plein d’espoir de commencer une nouvelle vie grâce au petit pactole qu’ils emmènent , qui leur permettra d’entreprendre et de vivre tout à fait décemment.
En une soixantaine de courts chapitres écrits dans un style alerte et énergique, comme de petits épisodes, Imbolo Mbué nous plonge dans l’univers des clandestins qui font tout pour s’en sortir, on partage leurs rêves, leurs aspirations, leurs joies et leurs chagrins et l’on se dit que, malgré la différence de culture, de vie, on n’est pas différents d’eux. On ferme le livre Voici venir les rêveurs , tellement triste de les quitter. [Annie Gagnerot, lectrice d’édition]
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*L’histoire derrière la publication de « Voici venir les rêveurs » d’Imbolo Mbué:
Avant de parvenir à faire éditer son premier roman, Imbolo Mbué s’est livrée à une véritable chasse à l’homme ou plutôt chasse à l’agent comme le veut la coutume outre-Atlantique. Etant une grande admiratrice des Corrections de Jonathan Franzen, elle a donc « harcelé » son agent par e-mail entre autres pour que celle-ci accepte de la représenter, ce qui lui aura pris 3 ans ! Suite à cela, elle s’est pliée à l’exercice de nombreuses ré-écritures. Au sujet de Franzen, Mbué a confié qu’il lui avait appris beaucoup sur l’art de conter une histoire. Des années après la lecture des corrections, elle reste marquée par ses dialogues incisifs et la complexité de ses personnages. L’œuvre l’a aussi fait éclater de rire par moment la faisant ainsi passer d’une émotion à l’autre. De son côté Franzén l’a gratifié d’un « blurb » comme l’on dit en Américain: « Imbolo Mbué serait une formidable conteuse d’histoire n’importe où, dans n’importe quel langage. C’est notre chance qu’elle et ses histoires soient Américaines. » (“Imbolo Mbue would be a formidable storyteller anywhere, in any language. It’s our good luck that she and her stories are American.”)
Les deux romans, Voici venir les rêveurs et Les corrections ont d’ailleurs été rapproché en soulignant que le premier, plus « insulaire » est ancré dans le XXe siècle et une famille blanche du Midwest tandis que Voici venir les rêveurs confronte les relations entre les blancs riches et leur personnel immigré, entre une nation qui possède et une autre qui n’a rien, ainsi que leur intimité contrainte qui repose sur des clivages sociaux de plus en plus marqués. Chez Franzen, l’éclatement de la bulle Internet incarne la faillite de la famille d’un magnat des chemins de fer. Voici venu les rêveurs écrit l’histoire du dégonglement de cette ambition surdimensionnée en se focalisant sur les travailleurs pauvres et les exclus du système, ignorés dans Les Corrections.
Ces gens qui ont justement subi les « corrections » de l’effondrement économique. Il est ainsi qualifié comme une correction des Corrections par le critique Aaron Bady, profession de littérature afro-américaine à l’université du Texas, sur le site Literary Hub.
Les coulisses du titre « Voici venu les rêveurs » (« Behold the dreamers » en VO) et de son changement:
Le manuscrit « Voici venir les rêveurs » (« Behold the dreamers » en VO soit « Contemple les rêveurs ») était originellement intitulé « Les grandes espérances de Jendé Jonga » (« The Longings of Jende Jonga » en VO).
L’auteur a confié au journal littéraire camerounais Bakwa que son éditeur Random House l’avait convaincue que le titre retenu était finalement bien meilleur. Certains ont ainsi noté que ce titre effaçait ainsi le nom à consonnance africaine en faveur d’un terme qui sonne beaucoup plus américain : le rêve. Un mot ultra significatif et symbolique dans l’imaginaire collectif des US. Et donc beaucoup plus vendeur ! Le roman se retrouve ainsi marketé comme « le rêve Américain à l’époque d’Obama et de Trump », ce qui colle à l’air du temps et non comme les aspirations d’une femme africaine dont le nom n’inspire pas grand monde…, souligne Aaron Bady . En complément il serait intéressant pour le traducteur/éditeur français a encore re-modifié un peu le titre lors de son passage en français ?
1 Commentaire
Les noms JENDE et JONGA ont tout un sens dans ce beau roman. Signification des noms
Jende : nous sommes
Jonga : survivre
Neni : comment?
Nous survivons, comment ?